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feci ! C’est lui qui « l’a bâtie avec son mortier et sa truelle ;… il a pris ce qu’il y avait de mieux dans les chartes antérieures ;… l’œuvre a été accommodée à l’état présent de la société ;… elle est l’application des théories déductivement résumées il y a dix-sept ans dans un livre de lui. » Et l’application elle-même, il la définit, la résume aussi avec un laconisme dont l’énergique expression a fait fortune : « Des pouvoirs qui se battent sans jamais venir à bout de se tuer ! » Que peut-on souhaiter de mieux pour l’agrément et la sécurité des existences privées ou publiques remises à la garde de ces pouvoirs protecteurs ? et qu’il y a bien de quoi se vanter d’avoir trouvé tout cela ! « J’ai écrit mot pour mot le troisième chapitre de la constitution ! » -Il est juste de remarquer que cette bataille incessante n’est point une hostilité proprement dite selon le sens de M. de Cormenin ; c’est ce qu’il intitule la séparation, et l’euphémisme a vraiment son prix ; car il cache un spectacle qui n’est pas beau. Les amis de M. de Cormenin ne s’accordent pas avec lui sur le but et l’effet de sa constitution républicaine ; ils nous répètent à tout bout de champ que, si l’on se bat dans cette arène où elle nous a parqués, ce n’est pas qu’elle soit faite à cette intention ; c’est qu’on n’y apporte point la bonne volonté d’y vivre en paix. M. de Cormenin ne l’entend pas de la sorte. Il a conçu sa charte tout exprès de manière à faire battre les gens. « Si les pouvoirs se jalousent, c’est ce qu’il faut ; s’ils se disputent, tant mieux ; s’ils crient, c’est qu’ils ne sont pas morts ! » Voilà qui est consolant, et au total il en a été comme l’a voulu M. de Cormenin et l’événement, la réalité, ont confirmé les sages prévisions, les vœux du législateur ! Les pouvoirs se battent à souhait, et, si exigeant que soit là-dessus M. de Cormenin, il doit en avoir à son contentement. Il a raison d’ailleurs. Qu’on nous passe cette trivialité : tant de tués que de blessés, il n’y a personne de mort ; mais il n’y a rien non plus dans toute la machine qui soit resté sain, et c’est là ce qui le condamne.

M. de Cormenin n’accepte pas cette condamnation que le mouvement révisioniste inflige d’avance à son œuvre. Il étale à plaisir le catalogue de toutes les difficultés qu’il a savamment amassées pour empêcher qu’on y touchât. C’est Ossa sur Pélion, et il nous défie d’escalader ses retranchemens. Il nous déclare « qu’il s’en tient tout uniment aux bases du régime de son choix, » et que c’est à nous d’en prendre notre parti ; que puisque Timon ne s’en trouve pas mal, le peuple français s’en trouve très bien, et qu’il ne bougerait pas, tant il est à son aise avec tous ces articles de loi fabriqués de main de maître, « n’étaient les impatiences féroces qui déchirent le foie de la classe officielle. » Il se rencontre quelquefois dans la polémique des partis de ces coïncidences de langage dont il faut garder note pour bien apprécier une situation. Tout le monde aujourd’hui se déchaîne contre la classe officielle « à laquelle appartient tout le monde, « cette nation bourgeoise, cette France lettrée, nerveuse, fiévreuse, comment la nommerai-je, si elle a un nom, cette France-là, dont je fais partie ? » s’écrie M. de Cormenin en personne, ne sachant plus comment la mieux représenter qu’en se donnant une bonne fois lui-même pour en être le portrait.

Le portrait, à coup sûr, ne serait point flatté, et de fait l’original a bien des travers que nous sommes fort aises qu’on ne ménage point. Il nous paraît toutefois