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que la « nation bourgeoise » doit avoir aussi quelque qualité qui l’aide à subsister malgré tout le mal qu’elle fait et tout celui qu’on lui rend. Ne serait-ce point qu’appelant à elle et finissant toujours par absorber toutes les fractions extrêmes de la société française, elle mitigerait les uns par les autres les défauts de chacune d’elles ? Ne serait-ce point qu’elle formerait ainsi entre les diversités violentes et les exagérations respectives des opinions, des intérêts et des souvenirs, une sorte de milieu tempéré où ces exagérations ne s’acclimateraient point, ce qui les rejetterait toujours à la longue en dehors de la pratique ? Les exagérés de toutes couleurs se vengent à leur tour des bourgeois en en médisant beaucoup, en les calomniant un peu. Nos ultramontains leur reprochent d’être athées, nos absolutistes d’être démagogues, nos démagogues d’être aristocrates, M. de Cormenin d’avoir un mauvais caractère qui les empêche d’aimer la république. Où serait-elle, hélas ! s’ils n’avaient pas eu le caractère bien fait ?

Nous avons trop insisté peut-être sur une publication éphémère, qui offre pourtant cela de curieux, qu’elle sert maintenant de catéchisme aux constitutionnels orthodoxes. La nourriture est, comme on voit, assez pauvre, et il n’y a certainement pas là de quoi se passer de la révision. Nous du moins qui n’y renonçons pas pour si peu, examinons encore cependant les autres objections, qui nous semblent beaucoup plus considérables, parce qu’à tout prendre, et même en tenant un compte équitable des faiblesses et des rancunes qu’il y a dans tous les partis, ces objections dérivent en somme de mobiles moins personnels ou d’esprits plus élevés. Ces objections sont bien simples. — On court le risque de vouloir faire encore de l’ordre avec du désordre. On ne sait pas où l’on va, si l’on ne réussit point ; on le sait encore moins, si l’on réussit. C’est à peu près à ces termes que se réduit toute l’argumentation sérieuse et sincère qui s’est produite dans la discussion des bureaux avant le choix des commissaires chargés, selon la proposition de M. Moulin, de préparer le débat public des projets de révision. Cette argumentation n’est pas restée sans réponse.

Il serait certes bien préférable que le pays n’eût point si souvent à manifester ses volontés en dehors des circonstances ordinaires. Ce n’est pas le cours normal de la vie publique que cette surexcitation intermittente qui ne laisse le loisir de rien régulariser. L’inconvénient n’est pas douteux ; est-il moindre que l’inconvénient de la résignation ? Toute la question est là. Voici un nombre quelconque de représentans, une minorité issue, pour beaucoup de ses membres, des listes imposées en bloc aux électeurs avec l’inflexibilité de la consigne radicale, une minorité certaine, avouée, proclamée. Cette minorité se dit : « Nous serons aussi peu que possible contre la majorité, deux cents, moins de deux cents, et nous lui barrerons le chemin par où elle s’efforce de répondre aux vœux de cette autre majorité, de cette grande majorité du peuple français dont elle est l’expression, puisqu’elle a reçu son mandat. Nous nous prévaudrons contre cette majorité parlementaire d’une observation judaïque de la légalité constitutionnelle ; nous la mettrons au défi d’en sortir ; nous crierons, si elle y demeure, que ce n’est point le respect de la loi qui l’arrête, que c’est la peur de nos vengeances ; nous soutiendrons que nous minorité, nous avons réellement la masse de la nation derrière nous, et qu’on le verra bien, lorsqu’en