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est chargé de combiner avec l’Autriche la réforme de l’autorité fédérale. Ce n’est plus à un écrivain que nous avons affaire, c’est à un négociateur, à un diplomate, mais à un diplomate qui conserve toutes les illusions du publiciste. Bien plus, ces illusions se fortifient, s’enhardissent chaque jour et finissent par ouvrir son esprit, cet esprit si amoureux du passé, à je ne sais quel vague élément démocratique. Pendant cette période, en effet, le 24 février ébranle l’Europe, et M. de Radowitz met tout à coup un audacieux espoir dans cette situation nouvelle. Les fantaisies révolutionnaires et l’ambition du teutonisme semblent frayer la route aux utopies, du rêveur. La couronne impériale a été offerte à Frédéric-Guillaume IV par l’assemblée nationale de Francfort ; Frédéric-Guillaume ne l’acceptera : pas, mais la tentation l’attire, et, de concert avec M. de Radowitz, il voudra mette à profit cet ardent désir d’unité qui travaille l’Allemagne entière. C’est en 1850, avec le parlement d’Erfurt, que s’ouvre la troisième période, la plus courte et la plus connue, celle qui contient le dénoûment. M. de Radowitz est obligé de quitter la rêverie pour l’action, l’écrivain doit se changer en homme d’état. Ses théories sortent du domaine des choses abstraites ; ses plans commencent à être réalisés ; il faut qu’il soit là, conseiller, commissaire royal, ministre enfin, pour conduire et protéger son œuvre. Ces deux personnages, le rêveur et le politique, se sont-ils complétés l’un l’autre ? L’homme d’état a-t-il justifié l’écrivain ? On sait trop, au contraire, quel effrayant incendie a failli être allumé en Europe par les fantaisies de M. de Radowitz. La biographie tient ici à l’histoire ; pour reproduire exactement cette étrange physionomie, il faut la placer dans son vrai cadre, il faut la voir se former et grandir au milieu des ambitions de toute sorte, au milieu des caprices ou des hardiesses qui dirigent depuis dix ans la politique prussienne.


I

Joseph de Radowitz est ne à Blankenbourg dans le Harz, le 6 février 1797. Il règne quelque obscurité, assure-t-on, sur les traditions de ses ancêtres. Sa famille, originaire de Hongrie, appartenait-elle à la noblesse slave ou à la noblesse magyare ? On ne saurait le dire d’une manière exacte. Elle appartenait du moins à la noblesse la plus modeste, et lorsque le jeune Radowitz vint au monde, il y avait déjà un demi-siècle qu’elle avait quitté sa terre natale pour chercher fortune en Allemagne. Fils d’un père catholique et d’une mère protestante, il fut élevé dans la religion de Luther jusqu’à l’âge de quatorze ans ; à partir de ce moment, le père réclama ses droits et se chargea de l’éducation religieuse de son fils. Napoléon était alors au faîte de ses prodigieuses destinées ; la Westphalie, érigée par lui en royaume l’année 1805, était gouvernée par son frère Jérôme. Bien des yeux étaient tournés vers le