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maître de l’Europe, dans ce royaume surtout qu’il avait créé et qui lui était inféodé par tant de liens. On ne parlait pas encore beaucoup de la patrie allemande ; c’était au lendemain de ces dissensions intestines lui avaient clos les destinées séculaires du saint-empire. Quand la réaction eut lieu, quand le patriotisme allemand, réveillé par la honte, fit explosion en 1813, ce n’est pas, on le sait, sous la bannière germanique, ce n’est pas en chantant les hymnes de Théodore Koerner que la Westphalie se leva ; ses soldats se battaient dans nos rangs. Le jeune Joseph de Radowitz, destiné par ses parens au service militaire, avait achevé à Paris une éducation commencée à Altenbourg. Vif, intelligent, ardent au travail, il soutint de brillantes épreuves dans son pays, et, à peine âgé de seize ans, il fut nommé officier d’artillerie. Six mois après, signalé déjà dans plusieurs affaires importantes, il recevait la croix de la Lésion d’Honneur et commandait une batterie à Leipsig. C’était commencer d’une façon singulière pour un homme qui devait aspirer un jour à régler les plus grands intérêts de son pays. Ce souvenir, on le devine sans peine, lui a été rappelé depuis avec des paroles empoisonnées. Avoir combattu à Leipzig, sous le drapeau de la France ! les Allemands seuls peuvent savoir quel est le poids écrasant d’une telle injure. Le soldat de Napoléon, l’officier westphalien de Leipzig, chargé trente-cinq ans plus tard de travailler à l’unité allemande, a dû trembler maintes fois, lorsqu’il a vu tous les partis exhumer ces vieilles colères et unir contre lui d’impitoyables rancunes. Qui sait même si le désir de repousser ces défiances n’a pas entraîné M. de Radowitz à certaines démarches peu d’accord avec la direction générale de sa pensée ? Qui sait si l’on ne trouverait pas dans cette circonstance la clé de bien des contradictions ?

On n’ignore pas que notre défaite à Leipzig amena le démembrement du royaume de Westphalie. M. de Radowitz redevint Allemand. Entré au service de la Hesse électorale comme officier d’artillerie, il fit la campagne de France en 1814, et l’année suivante, âgé seulement de dix-huit ans, il fut nommé directeur de l’enseignement des sciences militaires au corps des cadets, à Cassel. Il resta huit ans dans cette résidence, livré avec zèle à ses laborieuses fonctions, et consacrant ses loisirs à maintes recherches, à maintes excursions originales dans le domaine de la philosophie et de l’histoire. Les écoles militaires d’Altenbourg et de Paris lui avaient. donné une forte instruction, mais toute spéciale ; c’est pendant son séjour à Cassel qu’il accoutuma son esprit aux spéculations les plus hautes, qu’il demandai aux lettres, à l’histoire des arts et des idées, à la théologie même, un substantiel aliment pour ses facultés éminentes. Cette intelligence si ouverte savait joindre l’amour le plus ardent des arts et les élévations presque mystiques du chrétien à l’étude sévère des mathématiques. Tout en enseignant au prince héréditaire de Hesse, à l’électeur actuel, les sciences qui