Cette France, si vivante sous le consulat, était peu à peu tombée dans le silence de la mort. L’empereur partout pesait sur les intelligences et sur les cœurs. La nation croyait encore à son génie, mais elle n’avait cessé de le comprendre. Lui renfermé dans la solitude de son ame et dans le secret de ses desseins, entouré d’hommes médiocres, ne voulant plus que des instrumens, ne souffrant un peu d’intelligence qu’a la condition d’une servilité inviolable, exigeant sans cesse le dévouement, s’irritant de lui trouver des bornes, incomparable dans l’exécution, mais marchant toujours devant soi sans se proposer une fin raisonnable et bien précise, il poursuivait avec une infatigable énergie des projets démesurés et gigantesques, et la nation le suivait en silence. Elle le suivit, elle ne le secondait plus.
Après les désastres de 1812, en dépit de l’avertissement bien timide du corps législatif, Napoléon épuisa la France d’hommes, et d’argent ; refit une armée d’Espagne et d’Allemagne, et s’élança de nouveau sur les champs de bataille. Était-ce pour gagner encore quelques victoires, et à ce prix obtenir une paix glorieuse qui eût assuré les conquêtes de la révolution ? Non ; c’était pour jouer encore le même jeu qu’avant l’expédition de Russie, reprendre la route de Moscou, maintenir l’oppression de la Prusse, envahir le Portugal, soutenir le roi Joseph sur le trône de la Péninsule et le roi Jérôme sur celui de la Westphalie, affecter l’empire de l’Europe et bloquer l’Angleterre dans son île. Et tout cela, je vous prie, en l’honneur et au nom de quel principe intelligible à l’esprit et qui pût faire battre le cœur ? L’empereur Napoléon a deux parties dans sa vie : la première, où il sert la cause de la révolution lui donne le gouvernement qui lui convient, la monarchie constitutionnelle, apaise les discordes civiles, fonde la société nouvelle et prend une place unique dans l’histoire ; la seconde, où il est toujours un grand capitaine, un administrateur admirable, mais une sorte de génie oriental qui s’agite sans fin et sans repos sous la main de la fatalité. Aussi tour à tour la France l’a adoré et délaissé ; car, il faut bien le dire, en 1813 et en 1814, l’armée a fait des prodiges de valeur, mais la nation eût pu se défendre avec bien plus d’énergie et de constance. Elle l’eût fait, et certes Paris ne se serait pas rendu à une avant-garde de Cosaques, si toutes les forces du pays n’eussent été épuisées, si l’empereur n’eût pas abattu l’esprit public, s’il n’eût pas fatigué tout le monde, jusqu’à ses lieutenans eux-mêmes, si enfin il n’y avait pas eu dans la nation cette conviction désespérante qu’alors même que nous serions parvenus à nous sauver par de continuels miracles, le lendemain de la délivrance du sol, cet homme fatal qui marchait dans le monde sans plan et sans but, poussé par l’insurmontable besoin d’une activité dévorante et la soif de la domination universelle, nous eût ramenés sur ses pas des bords du Rhin jusqu’au fond de l’Allemagne, dans