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s’éloigne peu de la côte, les scènes qui se déroulent sous le regard ont une sévérité dont la langue des pêcheurs bretons est également empreinte. Même dans les plus beaux jours, la terre ne se montre guère qu’enveloppée d’un voile ; les roches bizarres qu’on contourne, les unes es en arcades par la vague, les autres plantées comme un obélisque au milieu des eaux, sont couvertes de mouettes qui se lèvent à l’approche du navire et tournoient sur votre tête en jetant dans les airs leur cri monotone et triste. On défile silencieusement devant la Baie des Trépassés, et bientôt l’Enfer de Plogoff vous renvoie les hurlemens de la mer dans ses gouffres. On se laisse gagner à une vague mélancolie que l’aspect extérieur de la rade de Lorient rend plus profonde. À votre droite s’étend la pointe de Gâvres, où la mariné poursuit ses intéressantes expériences sur les bouches à feu : est-il un lieu plus attristant, plus désolé que cette plage sablonneuse éternellement couverte par l’écume de l’Océan ; ou l’œil n’a d’autre horizon que les brumes menaçantes de la mer de Bretagne et les sinistres rivages de Quiberon ? Mais à peine est-on entré dans la rade, que toute pénible impression s’efface.

La rade de Lorient est un étroit bras de mer de deux milles de longueur, qui rejoint la rivière du Scorff, sur laquelle est bâtie la ville, et dont l’arsenal occupe les deux rives. Tout y inspire la sécurité ; le Port-Louis, qu’on laisse à droite, habité par des marins retraités, offre de rians aspects ; l’œil fatigué des teintes grisâtres et indéfinies de la mer se repose avec charme sur la verdure profonde des coteaux ; les sites gracieux se succèdent le long des rives du Scorff. Lorient est une charmante ville où l’existence est douce, pleine d’aménité. Ce fut le port de la compagnie des Indes, l’aboutissant obligé de la grande ligne de commerce qui, partant de Pondichéry et touchant au Port-Louis de l’île de France et à Bourbon, mit en communication les rivages de l’Asie et les côtes de la Bretagne. On y trouve encore, comme un ressouvenir de l’extrême Orient. Ce port de commerce se transforma en port de guerre par la concession qu’en fit la compagnie à l’état : sa rade, trop peu profonde pour donner accès aux vaisseaux de tout rang, et le voisinage de notre premier arsenal maritime lui assignent naturellement une position secondaire. Devenu port d’armement et de radoub pour la petite marine, pour la marine de paix, on en fit, sous l’influence de circonstances favorables, un chantier de grandes constructions. Outre un bassin de carénage où peuvent se réparer des vaisseaux de troisième rang, on y compte quatorze cales sur lesquelles s’élèvent autant de vaisseaux et frégates. Brest et Lorient se complètent mutuellement ; les vaisseaux construits dans ce dernier port vont à Brest terminer leur armement.

Les ressources ne seraient pas moindres à Lorient qu’à Brest pour