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Tout le monde était de cet avis, excepté ce petit parti qu’on a si justement appelé le parti des bornes. Le pays réel était réformiste. Au fond, le pays légal l’était aussi. La majorité, désapprouvait ses chefs ; mais, par point d’honneur, elle leur restait fidèle. Telle était la vérité de la situation aux premiers jours de 1848.

Dans la discussion de l’adresse à la chambre des députés, la majorité vota encore pour le ministère ; mais, après le vote, une partie considérable de cette même majorité se rendit chez le président du conseil et le supplia d’accorder quelques réformes : A la chambre des pairs, M. Mesnard, de la cour de cassation, aborda la question de l’abus des influences (c’était le terme parlementaire convenu pour désigner la corruption, comme on disait dans le public et dans la rue) ; il osa même réclamer hautement des réformes, et en cela il n’avait pas seulement l’approbation malheureusement muette de la chambre des pairs, mais il agissait par les conseils et les suggestions des hommes les plus modérés et les plus considérables de cette chambre. Je citerai au premier rang M. le comte Molé. Et moi aussi ; alarmé des périls que je voyais croître de jour en jour, je montai à la tribune pour demander à M. le ministre de l’intérieur, non pas la promesse d’apporter bientôt une proposition de réforme, mais du moins un mot d’espérance ; et ce mot, je ne pus pas l’arracher !

Peu à peu l’inquiétude montait dans les régions les plus élevées. Je n’ai connu aucun homme d’état, aucun, homme politique de quelque importance, en dehors de la minorité insolente et obstinée dont j’ai parlé, qui rappelât de tous ses vœux la fin d’une pareille situation. Des colonels de la garde nationale de Paris déclarèrent que la ville de Paris et là garde nationale étaient pour la réforme. Le préfet de la Seine, M. de Rambuteau, crut de sa fidélité de parler au roi. Le plus ancien ami du roi, M. le maréchal Gérard, sortit de sa solitude et fit entendre sa voix respectée. Un des esprits les plus politiques de notre temps, l’homme qui, avec Casimir Périer, avait le mieux servi la dynastie nouvelle dans ses pénibles commencemens, le maréchal Sébastiani tenta un effort suprême. Tout fut inutile. Le roi, il faut bien le dire, comme tous les hommes passionnés, ne crut qu’à ceux qui entraient dans ses passions : il repoussa toute idée de réforme et soutint énergiquement le cabinet.

Le lundi 21 février, commencèrent à paraître les premiers symptômes de l’insurrection ; elle persista indécise et contenue le 22, elle grandit le 23. Alors un cri universel s’éleva, et le 23, vers deux heures au début de la séance de la chambre des députés, M. Guizot déclara que le roi venait de faire appeler M. le comte Molé et de le charger de former un cabinet.

M. le comte Molé est un homme d’état d’un esprit ferme, modéré,