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Que présagent à l’Angleterre de pareils livres : la décadence, l’avènement prochain de la république, du chartisme, du socialisme ? Non, certes ; mais ils indiquent que l’œuvre de la révolution de 1688 est décidément accomplie, que toutes les conséquences que l’Angleterre en pouvait tirer pour sa civilisation et sa grandeur en ont été tirées, que tout ce qu’elle pouvait accomplir est accompli. Cette constitution anglaise, si célébrée, est-elle donc près de sa ruine ? Non ; mais le moment approche où l’on reconnaîtra que, tous les progrès possibles qu’elle avait promis ayant été obtenus, le temps est venu de coordonner pour ainsi dire, d’assembler et d’harmoniser ces progrès, et de panser les blessures que ce long combat a faites au corps social de l’Angleterre. Au mouvement d’expansion qui entraîne l’Angleterre depuis près de deux siècles succédera un mouvement de contraction, et, si nous osons nous exprimer ainsi, un resserrement. Il faudra s’occuper alors, non plus tant de la colonisation, de la guerre et de la diplomatie, c’est-à-dire des conquêtes morales et matérielles de l’Angleterre, que de sa vie intérieure, des relations des hommes entre eux, des liens de la hiérarchie, de la garantie des intérêts. Ce mouvement a commencé déjà depuis long-temps : les vieux partis politiques sont éteints ; ils ont disparu lorsque leur œuvre a été faite. Les anciens tories, devenus les protectionistes, vivent encore, grace à une simple question d’économie et d’intérêt ; les whigs s’effacent de jour en jour davantage, et qu’ont-ils à faire en effet depuis long-temps, depuis l’émancipation des catholiques, depuis l’extension du suffrage et les réformes parlementaires ? Ils avaient mis au monde, en quelque sorte, pour tirer de la constitution de 1688 ces résultats politiques : ces résultats obtenus les condamnent à disparaître. Mais, quels que soient les changemens qui surveiennent en Angleterre, on peut affirmer que cette constitution n’éprouvera pas la plus légère atteinte. Heureuse Angleterre ! Où les doctrines les plus opposées ne sont que des pierres servant toutes également à bâtir l’édifice de la civilisation moderne ! Alton Locke est une de ces pierres, comme les enquêtes protectionistes en sont une autre : elles portent l’une les chiffres de l’aristocratie, l’autre ceux de la démocratie ; toutes deux sont marquées du blason de l’Angleterre et de la civilisation anglaise.


EMILE MONTEGUT.