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ornières où il s’est ruiné : on ne doit pas méconnaître que le malaise général dont il souffre déjà de si longue date contribue à produire les agitations qui l’inquiètent.

En Portugal comme en Espagne, les besoins d’argent ont toujours été la grande question, et les : habitudes du pays en matière d’économie publique et privée n’étaient pas de nature à diminuer cette difficulté-là. La sévérité de nos usages administratifs, celle de notre comptabilité financière, ne nous préparent pas à comprendre ce laisser-aller en toute chose, qui semble une condition normale dans des états où il est resté beaucoup de souvenirs de l’ancien absolutisme sous l’apparence même des formes constitutionnelles. Ce n’est point, à coup sûr, avec ce laisser-aller que l’on peut pourvoir aux exigences d’un gouvernement régulier. Le Portugal ne représente par son territoire que le cinquième, par sa population et son revenu que le quart ou à peu près de l’Espagne ; il a cependant à entretenir une cour, des troupes, une armée de fonctionnaires. La cour en un si petit royaume est le point de mire de toutes les critiques, rien n’y passe inaperçu ; on n’y risque point une dépense qui ne soit contrôlée par une rumeur très volontiers malveillante. Les grands personnages du pays seraient de leur côté encore plus volontiers magnifiques ; il faut donc se procurer de l’argent à toute force, anticiper sur les revenus publics en en laissant le tiers ou le quart aux rares capitalistes assez osés pour risquer leurs avances, suppléer enfin à tout prix au déficit du trésor et quelquefois à l’insuffisance des traitemens.

Que ce soient là de bonnes recettes d’administration, personne ne voudrait le prétendre ; le mal heur est qu’elles se transmettent à travers toutes les révolutions ministérielles. Le comte de Thomar, M. Costa Cabral, a du moins eu ce mérite de chercher à se frayer d’autres voies pour dégrever la situation. Il a voulu faire ressource des douanes ; il a montré vis-à-vis de l’Angleterre une indépendance qui lui a valu les colères de toute la presse anglaise, et ce n’a pas été trop de l’échec du maréchal Saldanha pour ramener le Times à des sentimens plus équitables par rapport au vainqueur. M. Costa Cabral avait en effet élevé d’une manière assez sensible les droits d’importation sur les marchandises anglaises, qui depuis un siècle et demi entraient en Portugal à la faveur d’un tarif illusoire. Tout le goût que nous professons pour la liberté du commerce ne saurait cependant nous faire regretter que le Portugal essayât ainsi de se dérober quelque peu, si tard que ce fût, aux conséquences du traité de Méthuen. Le premier ministre, de dona Maria da Gloria avait encore un autre tort vis-à-vis de l’Angleterre : il ne se prêtait pas très volontiers à ces réclamations des sujets britanniques, qui bien ou mal fondées trouvent auprès de lord Palmerston un si ardent et quelquefois un si brutal appui. Lord Palmerston lui reprochait en revanche d’être à la dévotion du général Narvaez, quoique ce fût assurément une politique plus opportune et plus sensée de s’entendre avec l’Espagne que de se donner aux Anglais. Cette froideur très déclarée entre le cabinet de Lisbonne et celui de Londres a sans doute encouragé le maréchal Saldanha dans cette entreprise, dont la chute du ministère Narvaez lui aura suggéré l’idée.

Le duc de Saldanha a passé sa vie à courir tous les partis, sans garder envers aucun d’eux les sermens qu’il leur a successivement prêtés. Petit-fils de Pombal par sa mère, il a de bonne heure considéré le pouvoir comme un patrimoine