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de famille, et n’a guère tenu de compte des opinions politiques qu’autant qu’elles servaient ses ambitions personnelles. Il a rendu certainement de grands services à la maison de Bragance ; il en a été récompensé : les places, les pensions, les honneurs lui ont été prodigués. Il a siégé dans les conseils de la couronne, il a représenté le Portugal, auprès des principales cours européennes ; mais, aux divers momens de sa carrière il a poussé si loin ses prétentions dictatoriales, que faisant compter tout le monde avec lui, il ne voulait lui-même compter avec personne. Il a donné ce spectacle, que nous avons vu du reste chez nous, ce singulier spectacle d’un homme d’état mettant tout son orgueil à quitter les affaires quand une fois il les avait prises, comme il le mettait à les prendre quand il ne les tenait pas. Aussi, toujours à la façon de nos politiques, il n’est jamais sorti du pouvoir sans entrer aussitôt dans l’opposition la plus vive : il est allé cette fois jusqu’à la révolte ouverte, sans prendre à peine le soin de déguiser les motifs qui l’y entraînaient, sans cacher sa passion jalouse contre le comte de Thomar.

Lorsqu’en 1847 le Portugal eut sa part de cette agitation qui précéda dans presque tous les petits états de l’Europe le contre-coup de notre mouvement de 1848, Lisbonne fut sauvée par le maréchal Saldanha lui-même de l’attaque des septembristes. Il devint alors le premier ministre de la reine ; et il gouverna jusqu’au mois de janvier 1849. Le maréchal, qui accuse aujourd’hui la corruption du gouvernement de M. Costa Cabral, doit cependant se rappeler que tout le temps de son ministère il fut en butte aux mêmes attaques, et se trouva fort embarrassé d’y jamais répondre d’une façon décente. Ainsi affaibli dans les cortès, le maréchal, qui n’était pas non plus en très bonne position vis-à-vis du dehors, fut remplacé tout d’un coup par le comte de Thomar, qui reprit le poste où l’appelaient et la préférence de la reine et ses bons rapports avec l’Espagne et la France. Le maréchal lui voua aussitôt une implacable inimitié, et il a employé ces deux dernières années à lui faire une guerre incessante dans les cortès. Il semblait que cette guerre dût suffire pour renverser le nouveau ministre. Le frère du comte de Thomar, M. Silva Cabral, mortellement brouillé avec lui depuis 1848, s’employait sans relâche à réunir toutes les oppositions en un même faisceau, à réconcilier les septembristes avec le général qui des avait battus. Néanmoins la majorité parlementaire s’obstinait à demeurer fidèle au gouvernement. C’est le maréchal lui-même qui le confesse dans cette étrange épître qu’il a cru devoir écrire au duc de Terceira. Deux ans d’attente et d’efforts inutiles avaient lassé sa résignation et envenimé ses rancunes. Il est parti un soir de Lisbonne avec le plus grand sang-froid du monde pour commencer la guerre civile ; il avait présidé le matin l’assemblée d’une compagnie qui se forme pour l’exploitation de chemins de fer et de bateaux à vapeur ; il avait été de là siéger à la chambre des pairs, il avait assisté à la réception de la reine et baisé respectueusement la main de sa majesté ; puis il s’en est allé comme de coutume à sa maison de campagne de Cintra, et le ministère n’a su qu’il s’agissait d’un pronunciamiento que plus tard, lorsqu’on a appris que cinq ou six aides-de-camp du maréchal avaient couru le rejoindre.

Les déceptions ont bientôt commencé ; elles n’étaient que le juste châtiment de cet étrange libérateur qui, pour sauver le pays des abus qu’il dénonçait et rétablir la sincérité d’un bon gouvernement constitutionnel, ne voyait pas de meilleur remède qu’une insurrection militaire. Cette lettre au duc de Terceira