Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/595

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont nous parlions tout à l’heure est curieuse à plus d’un titre. Elle est un l’emphase péninsulaire encore plus marquée chez les Portugais que chez les Espagnols. Le comte de Thomar est désigné là comme « un homme fatal ; » et le factieux, qui ne craint pas de s’en remettre à la soldatesque du sort de son pays, invoque « le tribunal inexorable de l’histoire et les lois éternelles de la morale. — Laissez-moi vous rappeler que, si la justice de Dieu est dans le ciel, les lois de la morale ne sont pas abolies sur la terre. Cette insurrection ne sera pas une lutte de partis… elle représente seulement la lutte de la nation contre la mort qu’on lui a préparée de longue main par une série de souffrances, etc. » Ce qui n’est plus de l’emphase, ce qui est un bel et bon artifice de rhétorique prétorienne, c’est l’argument du vieux maréchal pour justifier sa levée de boucliers ; nous le recommandons aux futurs Césars de M. Romieu. — La révolution était imminente, dit le duc de Saldanha, il n’a vu qu’un moyen d’empêcher le peuple de la faire, c’était de la faire lui-même avec des soldats : si les soldats n’y suffisent pas, il laissera le champ libre au peuple, comme il a pris son parti de recourir aux soldats, quand il a compris « l’inanité des moyens légaux. » Les révolutionnaires parlent tous le même langage malgré la diversité des circonstances et des lieux.

Ce langage n’a cependant guère servi le duc de Saldanha. Non-seulement il n’a pu gagner le duc de Terceira qui occupait Santarem, le comte de Casal qui défendait Oporto ; mais il a échoué au début même de l’expédition devant la résistance d’un simple sous-officier. C’est peut-être la première fois, dans ces tourmentes militaires du Portugal, qu’un subalterne ose prendre sur lui de résister en face au commandement illégal d’un chef supérieur. C’est un symptôme qui n’a pas été perdu pour ceux qui connaissent le pays. Et voyez la grande vertu du devoir accompli avec cette stricte obéissance, à quelque étage que ce soit ! L’humble sous-officier qui arrêta quelque temps à Mafra les pas du maréchal a peut-être ainsi contribué plus que personne à la prompte répression de l’anarchie qui commençait. C’est grace à ce retard inattendu que le roi Ferdinand a pu devancer les rebelles dans Santarem. Il est probable que le duc de Saldanha, privé maintenant de tous les appuis sur lesquels il avait trop compté, n’a plus qu’à chercher un refuge en Espagne. Il faut se féliciter que sa coupable, tentative n’ait pas fait plus de victimes en faisant plus de dupes.

Au milieu même de ces événemens qui ont failli être si graves, le cabinet de Lisbonne signait avec le ministre de France, M. Adolphe Barrot, une convention que nous devons signaler comme un pas de plus, dans une voie où nous ne saurions trop encourager les gouvernemens. Par la convention du 12 avril, le Portugal est désormais interdit à la contrefaçon étrangère ; c’est une porte de plus fermée maintenant aux pirates industriels de la Belgique ; c’est une nouvelle garantie pour l’un des droits que l’Europe civilisée a peut-être le plus de raisons d’inscrire dans ses codes internationaux, pour le droit de la propriété littéraire. Si la Belgique ne s’assure pas un jour ou l’autre l’honneur de renoncer d’elle-même à ce fâcheux brigandage qui n’est profitable qu’à quelques individus, et dont les mauvais effets rejaillissent sur la nation tout entière ; si la Belgique tarde quelque temps encore à supprimer ses contrefacteurs, il faut espéré qu’ils trouveront à la fin devant eux un blocus de plus en plus hermétique. La convention portugaise, obtenue par la persévérance de M. Adolphe