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a un certain nombre d’argumens pour et contre chaque opinion ; chacun prend ceux qui sont à son usage, chacun s’en contente, ne va pas plus avant, n’imagine pas autre chose, et tourne perpétuellement dans ce cercle monotone. Les journaux, en fournissant des lieux communs pour toutes les conversations, ont contribué puissamment à cette énervation de la pensée. Si les théâtres se mettent de la partie et se laissent envahir aussi par la politique, encore quelque temps, et, pour trouver une pensée originale, il faudra prendre la lanterne avec laquelle Diogène cherchait un homme.


I

Aux époques régulières, quand l’ordre règne dans les esprits, le goût de la règle pénètre naturellement dans les institutions, et nul ne songe à se plaindre de la part faite à un besoin senti de tous ; l’ordre s’établit alors jusque dans les divertissemens. L’ancienne monarchie avait donc facilement rangé les théâtres à son autorité absolue. Sous Louis XIV, les théâtres étaient placés, on peut dire, sous la direction personnelle du monarque ; de là ces noms de théâtres royaux, de comédiens ordinaires du roi conservés jusqu’à ces derniers temps. C’était aussi un reste de cette magnificence romaine qui s’est conservée de nos jours même en Italie. Seulement, là où le préteur romain amusait le peuple par des combats de bêtes et de gladiateurs, le grand roi offrait à l’admiration de son siècle et de ceux qui suivront Phèdre, Armide et le Misanthrope. Il entrait lui-même dans les petits détails d’administration. Il accordait des entrées de faveur aux courtisans qu’il voulait distinguer, et, en fondant l’Académie royale de Musique, en 1672, il espérait, disaient les lettres patentes, que « cet établissement compterait parmi les principaux ornemens de son règne. »

Sous une telle impulsion, l’art dramatique s’éleva à une hauteur qu’il n’a atteinte dans aucun autre siècle et chez aucun autre peuple. Il devint la gloire la plus incontestée de l’esprit français, celle que les étrangers eux-mêmes proclament sans rivale. Un tel régime n’avait pas besoin de censure. Le beau est la plus sûre des barrières contre le mal. Loin d’avoir à se défendre contre des tentatives d’opposition, le théâtre ne servait qu’à étendre et à glorifier la puissance du monarque. Les esprits étaient tournés vers l’obéissance et l’admiration. Le génie peut résister dans la solitude aux entraînemens de la foule ; très souvent même c’est le secret de sa grandeur dans l’avenir. Du fond de la retraite, le philosophe, l’historien sourient des erreurs ou des préjugés, du dédain même de leurs contemporains. Ils savent quelles glorieuses représailles leur garde la postérité. Saint-Simon peut se soustraire au prestige exercé autour de lui ; son immortelle et chagrine opposition