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et les lumières sans chaleur des rêveries y brillent seules ; quelquefois on y aperçoit un regret, un souvenir douloureux, mais noyé et perdu dans un souhait général de bonheur qui ne s’est point réalisé. Nous avons cherché avec curiosité si le sentiment de l’amour conjugal s’y trouvait décrit ; nous ne l’y avons pas rencontré. Pour nous Européens, qui avons été saturés de romans où ce chaste sentiment se trouve analysé et décrit de manière a soulever le cœur, nous ne savons plus combien de discrétion, de chaste froideur extérieure doit envelopper cet amour pour qu’il n’ait pas un aspect impur, oserai-je dire, et pour qu’il ne blesse pas toutes les délicatesses de l’ame et toutes les convenances. Rien donc que de pur, de discret, de moral ne sort de ces poésies, et le talent de toutes ces dames ne s’exerce que sur les sujets permis, au lieu de s’exercer, comme le font trop souvent chez nous nos femmes poètes, sur les sujets illicites et à tout le moins scabreux.

Cette honnêteté et cette réserve parfaites entraînent nécessairement une grande monotonie ; mais peu nous importe après tout. Nous n’aurions pas songé à parler de ce livre, si c’eût été pour y chercher des beautés littéraires véritables ; nous y cherchons, avant tout, quelques reflets du caractère américain. Nous nous servons de toutes ces élégies, rêveries, monodies, comme de moyens pour découvrir les traces des vertus qu’elles recouvrent de leur nuage un peu pâle ou trop uniformément coloré. La vie de toutes ces femmes, telle au moins qu’elle nous est présentée par leur historien, n’a rien d’aventureux, de passionné ou d’excentrique ; trois événemens la composent d’ordinaire la naissance, le mariage et la mort. Quant aux intervalles compris entre ces trois solennels événemens, le biographe n’en dit rien le plus souvent, et nous pouvons supposer qu’ils sont remplis par toutes les nobles et fortes vertus et par l’accomplissement des devoirs qu’imposent à la femme les lois divines et humaines. Trois de ces femmes pourtant, par leur condition ou leur talent, se détachent du fond uniforme de ce livre, et ce sont les uniques singularités qu’il présente.

Ces poésies sont toutes écrites, avons-nous dit, par des femmes ou des filles de riches bourgeois, de magistrats ou de docteurs en théologie ; deux de ces femmes poètes sont cependant de condition servile, une négresse, Philis Wheatley-Peters, et une servante, Maria James. La négresse appartient à la fin du XVIIIe siècle, et semble être née juste à point nommé pour donner raison aux pamphlets de Franklin sur l’esclavage et aux réclamations des philanthropes. Cette fille du noir Sénégal, comme la nomme un de ses critiques, a eu, grace à sa naissance et à sa condition, une sorte de rôle historique. Vendue à l’âge de six ans à Boston, dans le marché aux esclaves, elle fut achetée par mistriss Wheatley, respectable dame qui lui donna de l’éducation et