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II. – NOMS DIVERS DES MARIONNETTES EN ANGLETERRE.

Le nom générique des marionnettes anglaises est puppet, dérivé soit du français poupée, soit directement du latin pupa. Je rencontre ce mot pour la première fois, vers 1360, sous la forme archaïque de popet, dans les poésies de Chaucer, où il a déjà, suivant quelques critiques, le sens de poupée mobile. Dans le prologue d’un des Contes de Cantorbery (prologue to the rime of sir Thopas), Chaucer suppose que le maître de l’hôtellerie où est rassemblé le cercle des conteurs lui dit :

Approchez, ami, et levez le front gaiement ! Et vous, faites-lui place, car il est d’une aussi large encolure que moi. C’est une poupée qu’il ferait bon voir entre les bras d’une femme mignonne et jolie…

This were a popet in arms to embrace
For, any woman small and fair of face[1].


Ce mot, pris dans le sens général de marionnettes, est d’un si fréquent usage dans les écrivains, même les plus graves, du règne d’Élisabeth, que je n’en citerai qu’un exemple, emprunté à Shakspeare. Dans la méchante Femme mise à la raison, un gentilhomme d’humeur fort positive prie un de ses amis de lui procurer un riche mariage, car « la fortune, dit-il, est le refrain de ma chanson d’amour. » Grumio, son valet, pour qu’il ne reste aucun doute sur la pensée de son maître, ajoute :

Vous le voyez, monsieur, il vous dit tout naïvement ce qu’il désire. Oui ; donnez-lui de l’or assez, et mariez-le à une marionnette, à une petite figure d’aiguillette[2] ou à une octogénaire à qui il ne reste plus une dent dans la bouche, ce sera pour le mieux, si l’argent s’y trouve[3].

Dans la Tempête, le magicien Prospero, évoquant les esprits de l’air, ses légers serviteurs, les appelle demi-puppets :

O vous, menu peuple d’esprits nains, êtres ambigus, qui tracez, au clair de lune, des cercles enchantés sur le gazon, où la brebis refuse de paître[4]… Ce nom de demi-puppets convient à merveille en effet aux petits sujets de Prospero, qui agissent plus par son impulsion que par eux-mêmes.

  1. Geoffrey Chaucer, Canterbury Tales, V, 1328-1400 ; Poetical Works, p. 104, édit. Tyrwhitt, 1843. Ce poète a employé dans le même sens, selon quelques commentateurs, le diminutif popelot. Voyez the Milleres tale, ibidem, v. 3254, p. 25 et 183.
  2. Il y avait au bout des aiguillettes, suivant Mezeray, de petites têtes de mort sculptées.
  3. The Taming of the shrew, acte I, sc. II, et acte IV, sc. III. Shakspeare a encore placé heureusement le znot puppet dans Antony and Cleopatra, acte V, se. n, et dans Midsummer night’s dream, acte III, sc. II. Voyez aussi l’Arcadia de sir Philip Sidney, liv. II, p. 162, édit. in-folo de 1605.
  4. Tempest, acte V, sc. 1.