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générale. Son mérite, c’est qu’elle est vieille. Tandis que toutes les autres traditions sont brisées, elle représente quelque chose du moins des traditions littéraires, et ce ne sont pas les moins chères à notre pays. C’est après tout, et malgré tout, un centre où une certaine dignité intellectuelle se perpétue, où on ne peut oublier qu’on parle la langue de Racine, de Bossuet, de Fénelon, de La Bruyère, et où le lieu commun lui-même a une figure honnête. N’est-ce point assez pour qu’on s’y réfugie à certaines heures, comme pour échapper un moment aux déclamations furibondes, à la logomachie solennellement grotesque des assemblées et des journaux ? Pour peu que l’Académie française réfléchisse sur les conditions de son origine, sur sa situation, sur les circonstances en même temps favorables et difficiles qui l’environnent, elle y peut puiser le sentiment d’un rôle, sinon nouveau, du moins plus marqué, plus décisif, au milieu de l’avilissement intellectuel contemporain ; elle n’a qu’à se faire la gardienne sévère et active de l’honnêteté, du goût, du bon sens, de tous les principes supérieurs de l’art littéraire. La dernière séance, nous nous hâtons de le dire, ne s’éloigne pas tellement de cet idéal, aussi bien par les talens qui étaient en présence que par les questions qui s’offraient naturellement à eux, et qu’ils ont traitées.

Peut-être avait-on à redouter quelque monotonie dans une séance tout occupée par la critique, entre hommes du même métier, de mêmes habitudes et de tendances d’esprit qui ne sont pas très différentes. Il n’en a rien été, on peut l’affirmer, et si le discours de M. Nisard, en soumettant notre époque à un sévère jugement, était fait pour inspirer plus d’une réflexion salutaire, M. Saint-Marc Girardin a su, tout à côté, suivre le même chemin, mais avec moins de sévérité dans la parole, en prodiguant les traits d’une verve saine, d’un bon sens ingénieux et vif, qui a pu tout dire en se faisant applaudir, et a été occupé pendant une heure à débarrasser de ce qu’elle avait de trop absolu peut-être la pensée de son savant interlocuteur. L’un et l’autre se sont employés avec zèle à faire revivre l’honorable figure de M. de Feletz. Nous entendions dire un jour, non certes en plein Institut, mais par quelqu’un qui en était, qu’en fait d’académiciens auxquels on succède il y a de bons morts et de mauvais morts, ce qui veut dire qu’un nouvel élu est très heureux, quand il a à peindre un Chateaubriand, un Royer-Collard ou un Nodier, pourvu cependant que le portrait d’un Bonald n’échoie pas par hasard à quelque vaudevilliste sur le retour. Si l’on nous permet de continuer la figure, M. de Feletz était assurément un bon mort pour un critique appelé à le remplacer et à retracer son éloge. Aussi bien M. de Feletz était un écrivain excellent, non de notre époque, à laquelle il tenait peu, je crois, à appartenir, mais de l’époque qui a précédé la nôtre, du consulat, de l’empire et de la restauration. Son nom se lie à l’éclatante réaction du commencement de ce siècle. Un des premiers alors, il s’est trouvé tout prêt à faire revivre les traditions de l’esprit et du goût ; un des premiers, il a fait la guerre au mauvais langage, mauvais surtout parce qu’il cachait de mauvaises pensées et de mauvais sentimens. L’intervalle de 1800 à 1830 a été rempli pour M. de Feletz par une rare assiduité de collaboration au Journal des Débats, par une série d’articles dont la collection très variée dénote une singulière liberté d’esprit. Qu’on parcoure ce recueil, publié en 1828 sous le