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du plein soleil. Chacun a plus ou moins ainsi son heure ; mais la conviction qu’il était dans le vrai alors n’a-t-elle pas poussé M. Nisard à une sévérité excessive parfois dans le choix de son idéal littéraire, à une espèce de sentiment d’infaillibilité de la critique ? « La critique se trompe rarement, » dit-il dans son dernier discours académique. Nous ne demanderions pas mieux que de le croire, si ce n’étaient les conditions de cette infaillibilité. Ces conditions sont bien simples : c’est que la critique sera « éclairée, savante, exercée au nom de principes certains, par un honnête homme qui veut le bien de la vérité sans vouloir le mal des auteurs… » Ne faut-il que cela en vérité ? À ce prix, combien y a-t-il de critiques, fussent-ils académiciens, qui se trompent rarement ? S’il est difficile, hélas ! d’atteindre à cet idéal, M. de Feletz eût ajouté, sans nul doute, au programme une petite chose, — l’agrément, qui ne gâte rien, et qui aide souvent à avoir raison. M. Saint-Marc Girardin est bien aussi de cet avis, je crois ; n’en donnait-il pas de charmans exemples dans cette séance même ?

Par tournure d’esprit et par goût, M. Nisard n’était point homme à reculer devant les grandes questions littéraires qui se lient aujourd’hui aux questions politiques et sociales. Il les a abordées avec courage, avec beaucoup de courage, d’autant plus qu’il avait à faire au public accouru pour l’entendre une confidence singulière : c’est que le vrai, le grand coupable dans nos désastres littéraires, c’est le public lui-même. Si la littérature se plonge dans toutes les corruptions, c’est la faute du public ; si les écrivains violent les plus simples lois du bon sens, de la morale, du goût et de la langue, c’est la faute du public. Le public est un grand coupable sans doute, il pèche beaucoup par complicité et par tolérance, nous le voulons ; mais, pour le charger à ce point, il faudrait reconnaître essentiellement sa compétence, et c’est surtout en littérature que les majorités sont incompétentes, c’est surtout en littérature que le succès, les vogues capricieuses ne sont point la mesure de la valeur d’une œuvre et des devoirs de l’écrivain. Le public fait son éternel métier en ayant des caprices, en aimant qui le flatte, en s’enivrant de ce qui le corrompt ; l’écrivain est infidèle à son devoir en s’inspirant d’autre chose que des nécessités supérieures de son art, en faisant de sa plume un instrument de scandale. S’il faut absolument atténuer la responsabilité des écrivains, il ne reste qu’à se rejeter sur une certaine atmosphère morale qui enveloppe tout le monde, qui imprègne tous les esprits et à laquelle on ne peut se soustraire ; mais encore, cette atmosphère, qui a contribué à la créer, si ce n’est les écrivains ? Et qui peut contribuer à l’épurer, à l’assainir, si ce n’est eux, parce que dans tout ce qui touche à l’intelligence l’initiative n’appartient point au public, mais à celui qui a reçu les dons heureux et rares du génie ou du talent ? M. Saint-Marc Girardin a réfuté bien autrement M. Nisard. Il a répondu en homme d’esprit qui sait qu’il a le public en face de lui, — un public qui n’est point venu précisément pour recevoir de trop vertes leçons. Assurément, semblait dire M. Saint-Marc Girardin, il serait bien mieux que le public fût vertueux ; mais, s’il l’était, à quoi servirions-nous ? Et s’il n’était pas ce qu’il est, c’est-à-dire un mélange de caprice, de mobilité et d’inconstance, comment se lasserait-il du mal et aurait-il par momens de ces beaux retours au vrai et au bien qu’il faut savoir saisir sans trop prétendre les imposer ? S’il y eût eu un troisième interlocuteur, peut-être