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gocians en gros, qui y trouvent un logement et un magasin, pour lesquels ils paient une légère redevance pendant le temps de leur séjour. C’est là que viennent s’approvisionner les détaillans ; c’est là aussi que les agens du fisc comptent les ballots, et prélèvent l’impôt dû par leurs propriétaires.

Les bazars s’ouvrent et se ferment de bonne heure. Les marchands retournent, dès que le soleil est couché, dans leurs maisons, où il ne reste, pendant qu’ils sont à leurs affaires, que les femmes et les enfans. Au milieu du jour, cette espèce de ville marchande contient la plus grande partie de la population ; c’est là que se rencontrent et que débattent leurs intérêts les bourgeois, les ouvriers d’Ispahan. Quant aux personnages d’un rang élevé, ils n’y circulent pas. Ils y passent entourés de leur cortége de ferrachs, si c’est leur chemin, mais ils ne s’y arrêtent pas ; ils compromettraient leur dignité. Dès qu’il fait nuit, les bazars sont déserts, et les boutiques bien fermées, cadenassées, sont confiées à la garde de nombreux agens de police.

La place du Meïdan-i-Châh réunit les trois monumens les plus caractéristiques d’une ville orientale : bordée d’un côté par les bazars ; elle est terminée de l’autre par la plus belle mosquée et par le plus beau palais d’Ispahan. La mosquée s’appelle, nous l’avons dit, Matchit-Djumah ou Matchit-i-Châh, ce qui signifie mosquée principale ou mosquée royale. Il va sans dire que ce n’est pas d’après nos temples européens, de style grec ou gothique, qu’on peut se faire une idée des mosquées persanes. Dans ce pays, l’art et les mille détails qui forment l’ensemble de ses productions architectoniques ont un caractère particulier, une essence originale que l’on ne trouve ni en Égypte ni à Constantinople, et qu’on ne commence à pressentir que de l’autre côté du Tigre. Aucun germe de cet art persan n’a pris racine sur la rive occidentale de ce fleuve, qui est, en Asie, comme une limite infranchissable posée entre deux natures, entre deux civilisations tout-à-fait distinctes : celle des Arabes du Kaire, puis des Turcs à l’occident, et celle des Arabes de Bagdad et des Persans à l’orient ; la civilisation des kalifes fatimites d’une part, et de l’autre celle des kalifes abassides.

Parmi les modèles de l’architecture religieuse qui a pris naissance sous les seconds, on en retrouve du temps d’Haroun-el-Rechid, qui régnait à Bagdad au VIIIe siècle ; mais le temple que l’on peut considérer aujourd’hui comme le plus beau type de ces pieux édifices est sans contredit la mosquée royale d’Ispahan. Elle termine, ainsi que j’ai dit, la Place Royale. Défendue de la foule des marchands, acheteurs ou cavaliers qui encombrent le Meïdan, par un petit mur le long duquel règne un banc, elle est précédée par une avant-cour qui a la forme régulière d’un demi-pentagone. Sur l’un des côtés de cette cour s’élève le portail entre deux minarets élancés, dont l’émail bleu se perd dans l’azur du ciel. Une haute arcade ornée de dessins d’un goût exquis