Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1048

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sein de cette vaste fermentation. Les États-Unis ont une sorte de puissance d’absorption vraiment magnétique et naturelle, qui n’a rien de politique et qui ne doit rien à l’excellence relative ou au prestige de ses institutions. Les émigrans ne s’habituent pas à la vie américaine ; ils font mieux, ils s’y anéantissent et s’y plongent comme dans un Léthé, où ils oublient aussitôt leur origine, leur patrie première et leurs anciennes mœurs. L’influence des émigrans sur l’Amérique est au contraire complètement nulle ; une fois débarqués, ils sont comme perdus au sein de ces vastes fourmilières d’hommes ou de ces déserts sans fin de la nature, et force leur est bien de devenir barbares. Et ce ne sont pas seulement les émigrans qui subissent cette attraction ; la Louisiane, dont la population est d’origine française, ne compte pas au nombre des états les plus civilisés du sud. L’ancienne patrie y est oubliée, l’ancien langage s’est transformé en patois. Ainsi, partie de la civilisation, cette société semble vouloir traverser une sorte de vie barbare pour arriver à une civilisation qui nous est inconnue. Seulement cette barbarie s’appuie sur tout ce que la civilisation a obtenu de résultats pratiques et matériels par l’agriculture, par l’industrie, par le crédit. Que peut être une civilisation sortie d’une barbarie qui a en elle de tels moyens de puissance ? Incontestablement une civilisation décuplée et élevée jusqu’à un degré qu’aucune nation n’a encore atteint.

Le second fait que nous voulons signaler, c’est la précipitation extraordinaire de ce peuple. Ce n’est pas une précipitation extraordinaire de ce peuple. Ce n’est pas une précipitation fatale ; c’est quelque chose comme le phénomène qui se produisit à la chute de l’empire romain, lorsque les hordes barbares arrivèrent en se poussant les unes les autres, entraînés, ainsi que le disaient leurs chefs eux-mêmes, par une puissance inconnue. Du sein de la démocratie américaine, il semble perpétuellement qu’on entende s’élever ces paroles : Hâtons-nous ! hâtons-nous ! craignons d’arriver trop tard. La destinée nous attend et nous appelle ; faisons en sorte d’être prêts pour l’heure où se jouera la fortune du monde et où le sort des peuples sera réglé. L’heure des grandes batailles s’avance et nous devons y assister. — Rien ne leur coûte pour cela. Les Américains n’ont aucun souci de leur existence, aucun souci de l’existence d’autrui ; ils comptent pour rien la vie de l’homme. Leurs gigantesques opérations industrielles sont assises sur le hasard, leurs chemins de fer sont construits pour un usage provisoire. Leurs villes, bâties de bois, s’élèvent comme par miracle et sont détruites avec la première étincelle qui vole sur l’aile du vent. Nulle part les accidens ne sont plus nombreux qu’aux États-Unis ; ils comptent même au nombre des principaux événemens de ce pays. Il ne s’écoule pas de jour où l’on ne voie paraître en tête des journaux américains ces sinistres paroles : « Explosion d’un steamer, explosion d’une machine à vapeur, destruction