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montrer quelle était dans la Normandie, aux divers degrés de l’échelle sociale, la condition des populations agricoles, et il reconnaît l’existence d’une classe moyenne dont les membres, sous le nom de vavasseurs, formaient la contrepartie de la bourgeoisie des villes. Les vavasseurs, comme les ouvriers affranchis des corporations industrielles, travaillaient pour leur propre compte, et percevaient pour eux-mêmes les profits de leur travail, en restant toutefois astreints vis-à-vis des seigneurs à certaines redevances et à certaines corvées. Quant aux serfs, dans la Normandie, leur position était à peu près la même que dans le reste de la France ; ils remplaçaient auprès des grands propriétaires ruraux les domestiques et les ouvriers à la journée, travaillaient pour leur maître et vivaient à ses dépens. De même qu’il y avait différentes classes d’hommes, il y avait aussi différentes, classes de terres, et comme le système économique de la société du moyen-âge était basé sur la propriété, le sol, ainsi que les habitans, avait sa hiérarchie. Les terres nobles, qui occupaient nécessairement le premier rang, obligeaient leurs possesseurs, vis-à-vis de ceux dont ils relevaient féodalement, à l’hommage et au service militaire ; les terres roturières étaient assujetties à des rentes et à des corvées. Les premières, espèce de majorat inaliénable auquel étaient attachés le titre et le nom, étaient indivisibles ; les secondes pouvaient se partager à l’infini aussi, dès le moyen-âge, la propriété roturière était-elle extrêmement morcelée. M. Delisle cite plusieurs exemples à l’appui de ce fait, sur lequel il insiste avec raison, parce qu’il a été généralement méconnu, et il rappelle, entre autres la terre dite le fief aux roses, qui se composait de 76 ares, partagés en cent dix parcelles exploitées par trente-neuf tenanciers.

Après avoir traité la question de propriété, M. Delisle passe à la question d’exploitation. Le système du métayage, qui donne par moitié les fruits de la terre au propriétaire et au fermier, était pratiqué sur un assez grand nombre de points de la Normandie ; comme il l’est encore de nos jours dans la plupart de nos départemens du centre. Il y avait aussi les baux à loyer, qui étaient de trois, de six ou de neuf années, et dont les prix s’acquittaient en grains, en argent et en une foule de redevances telles que volailles, neufs, gibier, etc. L’une des principales clauses de ces baux était que le fermier, pendant toute la durée de son bail, emploierait sur sa ferme toutes les pailles et les fumiers, et qu’il ne pourrait changer les assolemens. L’importance qu’ont prise de nos jours les questions agricoles donne à toute cette partie du livre un véritable intérêt, et il est curieux de constater que sur un grand nombre de points de la France les choses se passent encore aujourd’hui comme au XIIIe siècle. La différence entre le présent et le passé n’est souvent que dans les institutions féodales, et ces institutions fournissent encore à M. Delisle un remarquable sujet d’études ; mais, tout en rendant justice à l’étendue de ses recherches, nous pensons qu’il s’est montré par trop indulgent à l’égard de la féodalité. Que le droit du seigneur par exemple, ce droit dont on s’est fait une arme contre le moyen-âge, n’ait existé dans la Normandie que très exceptionnellement ; que M. Delisle ne l’ait rencontré qu’une seule fois, et même comme formule comminatoire, l’exercice de ce droit étant subordonné au refus que faisait le nouveau marié de donner, le jour de ses noces, un morceau de porc ou un gallon de vin à son seigneur, — il ne s’ensuit pas pour cela qu’on ne le rencontre pas dans d’autres