provinces, sous d’autres noms, et c’est tirer, ce nous semble, d’un fait particulier une conclusion beaucoup trop générale que d’affirmer que les paysans, à l’occasion de leur mariage, n’étaient point soumis vis-à-vis de leurs seigneurs à des obligations plus avilissantes que celles auxquelles ces derniers étaient eux-mêmes astreints vis-à-vis de leur suzerain. Nous admettons que la féodalité, à un moment donné de l’histoire, ait constitué un progrès relatif, surtout sur les institutions chevaleresques ; nous admettons qu’elle ait substitué dans de certaines limites la notion de l’ordre et du droit à la notion de la force ; mais, ces concessions faites, nous regardons comme hors de doute que, dans les rapports du maître au vassal, du noble au vilain, la féodalité ne fut que trop souvent oppressive ou absurde. On a méconnu long-temps ce qu’elle a eu d’utile ; ce n’est pas une raison pour méconnaître, d’autre part ce qu’elle a eu de vicieux ; et si nous insistons sur ce point, c’est qu’on se montre généralement trop disposé à passer sans transition d’un extrême à l’autre. Il n’est pas un seul des grands noms de notre histoire qu’on n’ait traîné tour à tour des gémonies au panthéon, il n’est pas une seule des institutions du passé qu’on n’ait flétrie avec colère ou réhabilitée avec enthousiasme ; et comme la mode historique change tous les dix ans, on se demande avec défiance si l’histoire écrite à la distance des siècles, au lieu d’être une vérité, n’est pas trop souvent une succession de systèmes.
La partie des Études sur l’agriculture normande qui se rattache à la police rurale, à l’administration des paroisses, à l’état moral et matériel des populations agricoles, présente un grand nombre de faits nouveaux. Même à l’époque où la féodalité est dans toute sa puissance, le système électif pour certains offices de justice se maintient dans plusieurs cantons, et, quoiqu’il n’y eût point dans les campagnes de communes légalement organisées, on voit cependant l’esprit d’association suppléer à l’imperfection des institutions sociales. Lorsqu’une paroisse a des affaires d’intérêt public à débattre, elle délègue par voie d’élection des procureurs chargés de les poursuivre ; elle nomme également par le même système les répartiteurs et les collecteurs des taillée ; elle vote des fonds pour l’entretien des églises, des chemins, des ponts, des gués ; elle soulage par des associations de bienfaisance les misères privées ; enfin elle présente en bien des points une organisation très avancée. La population normande était nombreuse, et si les campagnes, dans la Normandie comme dans le reste de la France, furent souvent réduites à la dernière misère, la cause de cette misère doit surtout être attribuée aux guerres étrangères et aux guerres civiles et féodales. Il est même à remarquer que la prospérité des populations agricoles n’est pas toujours en rapport avec le progrès de la civilisation, car il est incontestable qu’elles étaient plus heureuses au XIIe et au XIIIe siècle qu’elles ne le furent depuis, sous Henri IV par exemple, et surtout sous Louis XIV. Dans les temps ordinaires, le bien-être matériel parait avoir été à peu près satisfaisant. La nourriture était abondante et même assez variée ; elle se composait, outre les légumes dont la production était très activé, de lard, de bœuf salé, d’oeufs, de potage aux pois, de poisson salé, tel que le hareng et le crespois, c’est-à-dire, la chair de baleine et autres gros cétacés. M. Delisle indique, dans certaines abbayes, la pitance quotidienne des travailleurs agricoles, qui était supérieure à ce que consomment aujourd’hui la plupart de nos paysans. L’instruction primaire (qu’on nous