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passe ce mot appliqué au moyen-âge) paraît même avoir reçu un certain développement. La plupart des paroisses avaient une école où l’on apprenait les élémens de la langue latine ; c’était là que se formaient les jeunes gens qui se destinaient au sacerdoce, et quand ils avaient terminé leurs études, ils continuaient à cultiver en attendant les ordres ou la collation d’un bénéfice. Les vavasseurs, c’est-à-dire les paysans de cette classe moyenne qui répondait, comme nous l’avons vu, à la bourgeoisie des villes, fréquentaient ainsi que les clercs les écoles rurales ; et comme on trouve au XIIIe siècle un assez grand nombre de chartes rédigées au propre et privé nom de simples paysans sans l’intervention de l’autorité civile et religieuse, on peut croire que ces paysans étaient assez instruits pour s’occuper eux-mêmes de la rédaction des actes qui les intéressaient.

Les détails que M. Delisle donne sur l’exploitation du sol et la culture proprement dite me sont ni moins variés ni moins neufs que ceux qui se rapportent à la constitution de la propriété. Au moyen-âge comme de nos jours, le manque d’argent et l’organisation vicieuse du crédit étaient l’une des plaies les plus profondes de l’industrie agricole ; l’usure ruinait les propriétaires et les cultivateurs, et la ruine, en cas de gêne, devait être bientôt consommée, le taux légal de l’argent ayant été porté parfois à des sommes excessives, comme sous Philippe-Auguste par exemple, où il était fixé à 2 deniers pour livre par semaine, soit 43 pour 100 par an. Il résultait de là que l’emprunteur était souvent obligé de faire à ses créanciers l’abandon de sa terre, ou que, pour éviter cet abandon, il constituait une rente perpétuelle dont le taux était en général de 10 pour 100. Si grande qu’ait été la pénurie de l’argent, on peut croire néanmoins, d’après les témoignages des textes, que l’agriculture normande, au moyen-âge et principalement au XIIIe siècle, avait atteint déjà un assez notable degré de perfection. D’immenses travaux de défrichement s’exécutent à cette date sur tous les points de la province. Dans la question des cours d’eau, les coutumiers devancent de plusieurs siècles notre loi sur les irrigations. Les travaux de desséchement des grands marais sont exécutés, pour la première fois en Europe depuis les Romains, dans le Lincolnshire, par les enfans expatriés de la Normandie. Dès le XIIe siècle, l’exploitation des tourbières est en pleine activité, l’aménagement des forêts est habilement et sévèrement surveillé, et les terres arables reçoivent des soins qui témoignent que la culture était sinon très avancée, du moins fort intelligente. Sans que l’on se doutât le moins du monde des lois de la chimie, on avait été conduit, par la seule observation, à un emploi judicieux des engrais ; on appliquait la marne tous les quinze ou dix-huit ans, et, sur le littoral on faisait un grand usage des détritus de plantes marines et du sable de mer, comme cela se pratique encore de nos jours. Les baux stipulaient les fumures et les assolemens, qui étaient en général des assolemens triennaux. Le nombre des labours était également réglé ; les paysans qui n’avaient point assez de terres pour entretenir l’attelage d’une charrue s’associaient entre eux ; les plus pauvres travaillaient leurs champs à la bêche, et c’est ce qu’on appelait les laboureurs de bras. Les propriétés roturières, par suite de leur extrême morcellement recevaient des tenanciers des soins très minutieux et l’on trouve au XIIIe siècle la mise en œuvre de certains procédés, le sarclage des céréales par exemple, qui rappellent les pratiques perfectionnées de la culture romaine. L’élève des chevaux et des bestiaux avait atteint, comme l’agriculture proprement dite, un notable développement : les nobles entretenaient à grands frais