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places fut ouverte à quelques-uns, et les destitutions brutales se succédèrent bientôt pour fournir les moyens de récompenser le dévouement des héros des barricades. Une loi sur l’instruction publique, cassant tous les professeurs de l’académie et du collège ; permit de sacrifier aux rivalités envieuses les membres du corps enseignant dont on redoutait le plus l’influence. C’était encore trop peu. On savait bien que la victoire n’avait été qu’une surprise ; on sentait le besoin d’avoir sous la main une armée de soi-disant travailleurs, prétoriens en blouse, propres à entretenir l’agitation et à maintenir le nouveau pouvoir en face d’une majorité très douteuse. On créa donc des ateliers nationaux. Le comblement des fossés, le nivellement des fortifications extérieures et la construction d’une route sur la rive gauche du lac réunirent des centaines d’ouvriers qui abandonnaient volontiers leurs occupations sédentaires pour un travail moins assujétissant. On n’exigeait pas d’eux beaucoup d’assiduité ; ils, pouvaient tenir, plus souvent en main le verre que la pioche et recevoir leur paie comme au terme d’une journée laborieuse. Le peuple souverain a droit à des ménagemens ; on est trop heureux qu’il veuille bien consentir à gagner ainsi sa pauvre vie, tandis que ses meneurs se partagent les dépouilles opimes. Il est vrai que cela coûte cher, mais c’est une dépense inévitable. Si l’argent est le nerf de la guerre, il est l’ame des révolutions. C’est lui qui leur donne l’être, les alimente et les conserve. Avant, pendant et après, elles en font une consommation perpétuelle. Tant que l’argent abonde, elles mènent joyeuse vie ; à mesure qu’il diminue, elles deviennent de plus en plus maussades et chagrines, puis féroces quand elles ne meurent pas de faim sur les débris de l’orgie. Genève était une riche proie ; mais les appétits du radicalisme ne sont point de nature à se contenter aisément. Après avoir dissipé toutes les ressources disponibles, ce qui ne fut pas long, il fallut trouver des expédiens. On s’empara, par une loi spoliatrice, des fondations utiles que les citoyens soutenaient soit de leur bourse, soit de leur activité désintéressée ; on les contraignit de verser leurs capitaux dans la caisse de l’état. En même temps, on recourut à l’emprunt, fondement sur lequel reposent toutes les théories financières de M. James Fazy, qui ont eu pour résultat de grever le pays de quelques millions de dettes, sans réussir cependant à combler le déficit, toujours béant comme un abîme dans lequel le radicalisme doit périr. Jusqu’en 1846, une sage économie avait dirigé l’administration des finances du canton de Genève. Le budget des dépenses ordinaires s’élevait en moyenne à 1,300,000 francs, ce qui fait à peu près la millième partie de celui de la France, en sorte que chaque millier de francs dans l’un représente un million dans l’autre. À la fin de cette même année 1846, malgré la révolution d’octobre et trois mois d’un gouvernement provisoire, les comptes de l’exercice se soldèrent encore par un excédant de recettes de 171,694 francs ; mais, à peine arrivés au pouvoir, les nouveaux magistrats, montrant le plus profond dédain pour ce qu’ils appelaient les vues mesquines de leurs devanciers, entrèrent dans un système tout différent. L’équilibre financier fut bientôt détruit par les frais des ateliers nationaux, cette expérience ruineuse dans laquelle l’état de Genève se lança le premier, comme pour donner au monde un avant-goût des merveilles du socialisme. Dès la fin de 1847, on entrait à pleines voiles dans le régime des déficits, et l’année suivante le conseil d’état faisait voter un emprunt de 100,000 francs de rente 4 pour 100,