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partout où elle n’est pas de mise, a causé, selon moi les plus graves imperfections de son manifeste.

L’erreur engendre l’erreur ; timide sur un point, on sera exagéré sur un autre. Si M. Barthel n’ose censurer le mal aussi résolûment qu’il le faudrait, il se dédommage en célébrant outre mesure les écrivains qui appartiennent à une meilleure direction morale, mais dont le talent et la bonne volonté ne marchent pas toujours du même pas. M. Auguste Kopisch et M. Robert Reinick sont assurément des écrivains qui se recommandent par la grace honnête, par une vraie cordialité allemande ; méritent-ils des éloges enthousiastes ? ont-ils droit à une place glorieuse, à la place que M. Barthel leur assigne dans l’histoire de la poésie au XIXe siècle ? Sans la moindre amertume, on peut répondre que non. Ce qui explique l’empressement de cette admiration inattendue, c’est le parfum moral que le critique a respiré dans leurs œuvres. Telle est sa manière de protester : au lieu de condamner tout haut ce qu’il condamne au fond de son cœur, il cherche un idéal, il se crée une espérance dans l’avenir, et, réalisant aussitôt cette espérance, il s’enthousiasme pour ce qui n’est pas encore. C’est ainsi qu’il place au-dessus de tous les poètes de l’Allemagne un jeune et mélodieux écrivain, M. Oscar de Redwitz ; dont le nom, à peine connu hier, vient d’acquérir une célébrité soudaine, trop soudaine à coup sûr pour que la mode ne s’en mêle pas un peu. M. de Redwitz, — nous aurons occasion de l’étudier, — n’est certainement pas un écrivain vulgaire : quelque chose de la grace du moyen-âge refleurit dans son joli poème d’Amaranthe. Il a lu Gottfried de Strasbourg, il a lu les mystiques chants de Wolfram d’Eschembach, et il s’est approprié très habilement l’inspiration à la fois naïve et printanière des vieux maîtres. Cette naïveté, quoique apprise ; a tout à coup charmé l’Allemagne ; ce souffle de printemps a rafraîchi les intelligences obsédées par les hallucinations des sophistes. Le succès du poème de M. de Redwitz est un des plus brillans succès littéraires qu’on ait eu à enregistrer depuis long-temps chez nos voisins. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien là de factice ? ou du moins les circonstances extérieures ne doivent-elles pas compter pour beaucoup dans les applaudissemens recueillis par le poète ? La tâche du critique est double : il doit juger le fait et le droit, il doit signaler dans le succès d’une œuvre d’art la tendance générale que ce succès révèle au sein de la société ; mais c’est aussi son devoir, et un devoir impérieux, de prononcer sur la valeur de l’œuvre, sans se laisser prendre aux influences du moment. Dans la première appréciation, il juge surtout le public ; dans la seconde, le poète. En lisant les suaves récits de M. de Redwitz, M. Barthel y a vu surtout un rassurant symptôme, il a été frappé d’une certaine transformation de la conscience publique, et il a poussé un cri de joie. Rien de plus légitime à la condition toutefois pour le critique, de ne pas rester en chemin, de ne pas se borner à la première moitié de son étude. Que M. Barthel poursuive donc ; qu’il conseille à la fois et les écrivains et le public, qu’il envisage enfin sous tous ses aspects le devoir de la critique au XIXe siècle. Par l’accent général de son livre, il a ému l’Allemagne, il a gagné bien des cœurs et s’est attiré de violentes attaques : ce n’est là qu’une préparation à ce qu’il peut accomplir. S’il développe maintenant ses qualités, s’il acquiert autant de force, pour condamner le mal qu’il en a déjà pour célébrer le bien, s’il affranchit sa critique de tout élément étranger et maintient par là