passé, de ce temps où celui qui raconte trouve toujours la vie meilleure, s’échangeaient alors entre nous. — Il m’arrachera peut-être à mon ennui, me dis-je, et, descendant du côté du Rummel, je me mis à suivre les ruelles étroites de la vieille ville. Le café de Si-Lakdar est situé au centre du quartier arabe de Constantine, non loin d’un carrefour où viennent aboutir plusieurs rues renommées pour leur commerce. Les rues des Tisseurs, des Selliers, des Restaurateurs, des Forgerons, se croisent tout auprès ; aussi la position centrale de ce café en aurait-elle fait le lieu choisi par les marchands, les étrangers, les savans (et Constantine en compte un grand nombre), pour se livrer, selon leur dire, au repos de l’esprit, si même sa grande vigne courant le long des arceaux, son jasmin, ses roses et sa musique célèbre à juste titre n’eussent pas été un attrait suffisant. Comme de coutume, quand j’entrai, Caddour, le cafetier, me salua d’un cordial bonn jour, et je pris place près de quelques vieux Turcs, amis d Ali, avec lesquels je livrais souvent de rudes combats au jeu de dames, leur passe-temps favori. Ali était, comme moi, de mauvaise humeur sans doute, car toutes mes questions n’eurent pour réponse que des monosyllabes ; alors, impatienté, je demandai les dames et l’eau-de-vie de figue chérie des Turcs, malgré les préceptes du Coran, et je commençai une lutte acharnée avec l’un des hôtes du café.
Le dos appuyé le long des colonnes, les jambes croisées sur une natte, sans nous soucier de la foule bruyante qui se coudoyait à deux pas de nous dans la rue large de quatre pieds, nous étions, absorbés par le jeu. Je me voyais battu, et je cherchais à parer les coups terribles du Turc Ould-Adda, lorsque cinq ou six fusils vinrent rouler sur le damier et renverser nos soldats de bois. Un armurier kabyle, en regagnant sa boutique, avait trébuché, et tombait avec sa charge.
— Fils du démon ! cria mon compagnon d’infortune. Ce fut sa seule exclamation ; il reprit sur-le-champ sa gravité.
— Pourquoi l’as-tu appelé ainsi ? lui dis-je lorsque tout le dégât eut été réparé.
— L’enfant porte le signe de celui qui l’a créé, reprit-il, et ces têtes de pierre ont conservé la marque de leur origine. La parole du prophète les a enveloppées comme un vêtement, mais son rayon n’a pu pénétrer leur peau. Vois comme ils s’en vont, désertant leur terre, courir tous pays, forçant les bras de travailler, non pour rassasier le ventre, mais pour ramasser l’argent. Celui qui a soif de richesse doit la demander à la hardiesse, non au labeur. On dit que dans la montagne de ces sauvages l’autorité est dans la bouche de tous, que leurs femmes sont sans voiles, et qu’au jour de fête ils dansent comme des bouffons. Avec leurs yeux bleus, leurs grands corps et leurs membres couverts d’une mauvaise pièce de laine, ils semblent les serviteurs du lapidé