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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/164

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en toute sécurité. Il y a aussi l’anaya qui se demande dans un danger pressant : si le Kabyle vous en couvre, eussiez-vous le couteau prêt à frapper votre tête, le salut est pour vous. L’anaya est une grande chose, un grand lien, et, pour des gens dont le commerce est une des occupations, c’est un gage de prospérité, car elle assure la sécurité à ceux que leurs affaires appellent dans le pays. Aussi est-ce un droit qui, s’il était violé, aurait pour vengeur la tribu entière ; mes yeux l’ont vu au jour de la mort du bey, et mon cœur en a gardé le souvenir.

— La journée fut terrible ?

— Mes moustaches sont grises ; bien des fois depuis elles ont été noircies par la poudre, et pourtant jamais depuis je n’ai vu le danger. Quand le souvenir de cette heure me revenait en mémoire, les autres combats n’étaient auprès que jeux d’enfans.

— Mais les forces n’étaient donc pas suffisantes, ou peut-être le bey fut-il abandonné des siens ?

— Prenez garde, s’il vous plaît, lieutenant, me dit en ce moment le cafetier Caddour en glissant ses jambes par-dessus mon épaule, afin d’allumer une petite lampe à trois becs dont les mèches nageaient dans l’huile. — Le jour était brusquement tombé, et avec lui le silence s’était fait dans la rue étroite. Au fond du café, la musique arabe jouait, sur un rhythme brusquement coupé, un air de guerre, tandis que l’improvisateur racontait les hauts faits d’un chef du sud. Les mèches fumeuses de la lampe suspendue au plafond envoyaient, suivant que le courant d’air poussait à droite ou à gauche, une lumière rougeâtre sur les traits d’Ali, puis les rejetait brusquement dans l’ombre pour les éclairer de nouveau. Le vieux soldat relisait le passé, et il se marquait sur sa figure, d’ordinaire impassible, une impression si profonde, que, sans me rendre compte de ce mouvement, je me rapprochai de lui, impatient d’écouter sa parole.

Alors, secouant la tête comme un homme qui voit dans le lointain ce qu’il dit : — C’était un homme puissant qu’Osman-Bey, reprit-il ; c’était un maître du bras. Un jour de poudre, la balle d’un fusil lui avait brisé l’œil droit ; mais sa pensée guidait l’autre et courbait les fronts. Il était le digne fils du bey Mohamed-le-Grand, qui dans l’ouest chassa les gens d’Espagne de la place d’Oran. Après avoir gouverné l’ouest et éprouvé la disgrace du pacha, il fut envoyé à Constantine, où il commandait dans la force et le bien. Durant ce temps se formait dans la montagne la nuée de l’orage ; chez les Beni-Ouel-Ban, non loin de la mer, il était venu un homme ayant nom Bou-Daïli ; il arrivait d’Égypte et faisait partie de cette secte qui a la haine du chef. C’était un de ceux que l’on nomme Derkaoua[1], soit à cause des lambeaux qu’ils portent,

  1. Secte de fanatiques musulmans.