soit parce qu’ils affectent de tirer les paroles du fond de leur gosier. Cet homme appelait les montagnards à l’attaque contre les Turcs, leur promettant le succès, le partage des biens et la domination du pays, la ville de Constantine une fois prise. Ses paroles se glissèrent si avant dans leur cœur, que, tandis que le bey Osman était parti vers le sud pour châtier les Ouled-Deradj, Bou-Daïli emmena vers la ville douze mille des gens de la montagne ; mais l’heure de l’abaissement des Turcs n’était pas encore arrivée : nos canons brisèrent les attaques des Kabyles, et le bey, revenu en toute hâte, trouva la plaine balayée de ces corbeaux.
Lorsque le messager porteur de la mauvaise nouvelle fut arrivé à Alger, le divan en prit connaissance, et le pacha répondit : « Tu es bey de cette province, Osman ; le chérif a paru dans la circonscription de ton commandement ; il est de ton devoir de marcher contre lui en personne, de tirer vengeance de son agression, de l’atteindre partout où il sera, et de le tuer ou de le chasser du pays. » Le bey lut cette lettre et réunit en conseil les grands et les puissans. Tous furent d’avis qu’il fallait user de patience, afin d’obtenir par la ruse ce qu’il était dangereux de demander à la force : on n’attaquait pas la bête fauve dans la tanière, on attendait qu’elle descendît dans la plaine ; mais le cœur du bey était trop grand pour s’abaisser à la crainte, et il dit : — Mon père se nommait Mohamed-le-Grand, moi je suis Osman. Le pacha a parlé, j’irai. Tenez-vous prêts au départ.
Aussitôt avis fut donné à toutes les milices que le bey allait brûler la poudre dans la montagne. C’était un beau spectacle, je te le dis, que le départ de tant de braves soldats. En tête marchait le bey ; à droite et à gauche, un peu en avant de lui, ses quinze chaous écartaient la foule qui se pressait pour baiser son étrier d’or. Malgré les coups de bâton, elle était si serrée, que le poitrail du grand cheval noir la coupait comme le couteau coupe la chair. Derrière flottaient les sept drapeaux du bey, puis venaient sa musique retentissante, les officiers de sa maison avec de brillans harnachemens, suivis d’une cavalerie nombreuse. Son plus ferme appui, les compagnies turques au cœur de fer, fermaient la marche. Le premier jour où le bey entra dans la montagne, la poudre parla peu ; les Kabyles méditaient la trahison, ils attendaient l’heure et le moment. Lorsque nous arrivâmes à l’Oued-Zour, jamais nos pieds n’avaient franchi ravins si difficiles, et plus d’un mulet avait roulé le long des pentes. Ils nous attendaient là, cachés presque tous dans les bois épais qui entourent une vallée dont le terrain de boue cède sous le pied de l’homme. Des envoyés des tribus arrivèrent au camp. — Pourquoi la poudre parlerait-elle plus long-temps ? disaient-ils. Un étranger était venu parmi eux et avait égaré leurs cœurs ; mais, puisque le bey ne venait point les arracher à leurs coutumes et ne demandait que la tête