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du coupable, pourquoi se querelleraient-ils ? Refusait-on jamais d’enlever l’épine d’une plaie ? la guérison n’en est-elle pas la suite ? Donne-nous une partie des tiens, disaient-ils au bey, car Bou-Daïli est retranché dans un endroit plein de forces, et nous le ramènerons à ton camp, où tes chaous agiront selon tes ordres.

Le jour de la mort s’était déjà levé pour, le bey Osman et voilait son regard d’aigle ; il crut à la vérité de ces paroles. La moitié de ses fidèles partit par son ordre et marcha, pleine de confiance, vers l’embuscade. De notre camp, leurs derniers cris furent entendus. Les Kabyles venaient de s’élancer sur eux comme la bête fauve s’élance de sa tanière. Alors Osman sentit battre son grand cœur et bondit pour voler à leur secours. Nous suivions ses pas. Il coupa à travers la vallée, croyant trouver un chemin ; mais le terrain s’affaissait sous nos rangs. Les Kabyles, à ce moment, accourent le long de chaque pente, et leurs longs fusils faisaient pleuvoir les balles ; la grêle, au jour d’orage, tombe moins serrée. Nous étions abattus comme l’herbe, et celui qui était tombé ne pouvait plus se lever. Osman, debout sur ses étriers, semblait les défier de sa haute taille, et son regard portait la menace ; leurs balles s’écartaient de lui. Avec quelques cavaliers, il allait atteindre un terrain plus solide, lorsque son cheval posa le pied sur un trou profond que voilait une herbe serrée ; il disparut, et l’abîme se referma sur lui. Un bey devait mourir, c’était écrit ; mais son corps ne pouvait tomber entre les mains des Kabyles. Moi et quelques autres, nous avions gagné le bois, mais nous quittions la mort pour courir à la mort. Les Kabyles frappaient sans pitié, excités au carnage par les cris de leurs femmes. La dernière minute de l’homme au combat est le miroir de sa vie : tout ce qui lui est cher se présente à sa pensée. — Zarha, ma femme, notre petit enfant et son sourire passèrent devant mes yeux, et mon ame faiblit devant la mort ; Zarha m’apporta une pensée de salut. — Je saisis le vêtement d’une femme en demandant l’anaya. Elle, fière de montrer sa puissance, me jeta son voile, et je fus entouré de sa protection. Bientôt l’on n’entendit que les coups de fusil tirés par les Kabyles en signe de réjouissance. Il n’y avait plus un Turc pour répondre, et le sang coula si fort dans le marais, que depuis les Kabyles l’ont nommé le Mortier. Là où le bey qui, d’un signe de la main, couchait les têtes jusqu’au désert, a vu briser sa puissance, crois-moi, le danger est grand, et le succès incertain. Toutefois, Abi-Saïd l’a dit en ses Commentaires : « Soumettez-vous à toute puissance qui aura pour elle la force, car la manifestation et la volonté de Dieu sur cette terre, c’est la force. » Si vous devez commander, vous arriverez portés par un nuage de poudre, et le Kabyle reconnaîtra sort maître.

Ali avait fini de parler : il ralluma sa pipe, et se replongea dans son