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seule vue de quiconque était soupçonné blanc. Grace aux listes du pétitionnement, on ne s’en tiendra plus aux soupçons, et l’on connaîtra mieux son monde. Etonnez-vous donc qu’avec cette idée bien avant dans la tête, on ne signe guère aux endroits où elle prévaut ! Étonnez-vous plutôt, et très sérieusement, qu’avec cette débilité du courage civique trop commune dans nos mœurs, il y ait encore toutes ces signatures.

L’union du pays dans un parti pris contre les révolutions, c’est ainsi que je définirais l’effort révisioniste. Tournons-nous maintenant du côté de l’assemblée. Il faut bien l’avouer, cet effort extérieur n’a pas l’air d’y avoir pénétré ; on n’en sent presque pas le contre-coup. Au lieu de l’union, c’est le morcellement ; au lieu d’une préparation sérieuse vis-à-vis de 1852, c’est presque une convention tacite de ne rien préparer. Le respect très décidé que nous professons pour le pouvoir législatif ne nous cache point qu’il se meut ainsi dans une sphère où il s’isole, que ce mouvement dans le vide l’écarte de plus en plus du mouvement général dont il devrait être la plus haute expression. Disons-le, pour résumer toute notre pensée, c’est quelque chose de trop contradictoire, c’est une contradiction trop regrettable qu’il y ait dans le pays une volonté si manifeste et si simple en faveur de la révision, et qu’il y ait dans l’assemblée sur le même sujet tant de propositions qui s’entre-détruisent, tant d’opinions qui ne s’élèvent que pour se combattre ! Les partis, les membres même des partis se donnent le plaisir de représenter leurs nuances les plus spéciales, et tiennent à l’honneur d’afficher chacun sa formule. Le pays se soucie bien, à l’heure qu’il est, que ces nuances ne se perdent pas ! Tout le monde sait en gros que la commission de révision a successivement examiné plusieurs projets qui lui ont été soumis : un projet républicain de M. Payer, un projet bonapartiste de M. Larabit, un projet orléaniste ou supposé tel de M. Creton, un projet légitimiste de M. Bouhier de Lécluse ; mais comptez un peu seulement les érudits qui pourront vous apprendre au juste les détails, l’économie de chaque projet, et jugez par cette facile épreuve de l’importance dont ils sont tous aux yeux du public ! La révision pour le public, c’est d’abord la révision elle-même ; la révision pour l’assemblée, c’est, à ce qu’il paraît, avant tout, une question de prépondérance pour telle ou telle fraction de la majorité. Le public voyait dans la révision un moyen d’en finir avec ce fractionnement ; c’était là l’espoir qu’on avait, un espoir téméraire, il faut en convenir, en renvoyant la question à l’assemblée. Celle-ci ne semble avoir accepté la question que pour commencer, en la traitant, à marquer encore davantage ce fractionnement déplorable qui lasserait la plus robuste confiance.

Le mérite de la proposition de M. de Broglie était de répondre purement et simplement au désir général sans lui fixer de destination plus précise, de mettre en avant la révision pour la révision. C’est à grand’peine, c’est en s’y prenant à deux fois, que M de Broglie a réussi à faire passer dans la commission le principe qu’il avait embrassé avec une initiative si opportune. Il est vrai qu’il n’a pas toujours eu l’approbation de M. Baze, et qu’il est sous le coup d’un désaveu de M. de Ségur d’Aguesseau. On ne peut pas avoir à la fois tous les avantages et contenter tout le monde. Nous ne nous chargeons pas de deviner comment il s’est trouvé une majorité de 9 voix pour adopter le principe de M. de Broglie, laquelle n’a plus été qu’une minorité de 6 voix lorsqu’il