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de résolution, et que l’amour le plus sincère, lorsqu’il parle timidement, s’expose à la raillerie, au dédain. La femme, fût-elle disposée à se rendre, ne renonce pas au plaisir de bafouer l’homme qui bientôt sera son maître, s’il s’avise de sommer la place sans merci et sans pitié. Aussi je comprends très bien que Cœlio soit éconduit. Qu’est-ce en effet que Cœlio ? Une ame naïve, éprise d’une femme à peine entrevue, jeune et belle, et livrée par l’oisiveté à tous les caprices de l’orgueil. Une telle ame mérite l’amour et l’obtient rarement. Vienne Octave, qui fait gloire de ses débauches, qui se vante de ne plus croire à l’amour, qui ne voit dans la possession des femmes les plus jeunes et les plus belles que le plaisir d’une heure, un passe-temps dont le cœur ne doit pas garder le souvenir, et Marianne se rendra à la première sommation, ou plutôt, avant même d’être sommée, elle pressentira, elle appellera sa défaite, elle fera les premiers pas, et tendra les mains aux chaînes qui doivent la garrotter.

C’est sans doute une vérité affligeante, je ne songe pas à le nier ; mais, puisque c’est une vérité, j’aurais mauvaise grace à chicaner M. de Musset sur le caractère qu’il prête à Marianne. Tout le secret de cette étrange préférence se trouve dans l’orgueil. Accueillir l’aveu d’une ame candide qui parle en suppliante serait pour Marianne une honte, une humiliation ; mais se rendre à Octave flétri par la débauche et fier de sa flétrissure, se rendre à ce héros de taverne qui ne prend pas même la peine d’attaquer la femme qui s’offre à lui, à la bonne heure, voilà une œuvre glorieuse. Ramener dans le droit chemin, tirer de la fange un homme qui ne voit dans les femmes qu’un hochet, n’est-ce pas une tâche digne d’envie ? Cœlio aime Marianne, et Marianne ne doute pas de son amour ; mais l’amour de Cœlio n’est-il pas un tribut exigé par la beauté ? A quoi boit tenir compte d’un sentiment si naturel, si impérieux ? Ne vaut-il pas mieux cent fois aller au-devant d’Octave, qui ne songe pas à l’amour, qui l’a relégué depuis long-temps parmi les chimères, et met les femmes sur le même rang que les dés et le vin de Chypre ? C’est l’avis de Marianne, et, quoique cet avis révèle dans une femme un cœur très peu généreux, je suis bien obligé de l’accepter comme vrai. Aussi l’échec de Cœlio ne me surprend pas. Qu’il se plaigne et gémisse, ses larmes, ses sanglots, seront pour Marianne un sujet de risée.. Octave parlant pour Cœlio, parlant pour lui seul, sera pris pour un imposteur, et Marianne voudra exaucer les vaux qu’il n’a pas formés ; que Cœlio succombe sous les coups d’un spadassin, Marianne ne versera pas une larme, car elle n’aime pas Cœlio. Le châtiment, grace à Dieu, ne se fait pas attendre. À peine a-t-elle avoué son amour à Octave, qu’elle entend comme une sentence sans appel la réponse de l’amant qu’elle a rêvé et qui n’a jamais songé à la posséder : « Marianne, je ne vous aime pas. »

L’hésitation du public en présence de ces personnages n’a pas besoin d’être justifiée. Le caractère de Marianne, vrai à coup sûr et pourtant misérable, devait exciter plus d’étonnement que de sympathie. Bien que la pratique de la vie donne pleinement raison à M. de Musset, il est certain cependant qu’un tel caractère, si finement développé qu’il soit, ne peut manquer de blesser bien des croyances. Dans la foule réunie au théâtre, les esprits clairvoyans ne forment pas la majorité. Le parterre, l’orchestre et les loges sont peuplés d’esprits candides qui voient dans l’amour la récompense de l’amour, dans le dévouement la récompense du dévouement. Le caractère de Marianne, tel que