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complication et d’intelligence, la chimie invente, les pistons grincent, la vapeur s’essouffle, et le résultat de tant de découvertes, de labeurs et de science n’approche pas plus du modèle que la prose de la poésie, ou la froide épure d’un architecte du tableau librement rêvé d’un grand peintre ! Les plus habiles artistes de l’Occident, les savans de nos instituts apportent leur concours aux manufactures des Gobelins et de Beauvais, et les tapis qui s’y tissent sont sans égaux dans les pays qu’on nomme civilisés ; mais voyez à côté les tapis de Perse et de Tunis quelle différence dans l’ensemble, quelle harmonie de couleurs, quelles nuances inconnues et charmantes, quelle richesse avec des procédés bien plus simples ! D’où vient que les couleurs qui s’excluent absolument dans nos pays, et que la nature a cependant rapprochées partout, le vert et le bleu par exemple, se marient avec tant de bonheur dans les étoffes orientales ? D’où vient qu’aux tissus de laines, si mates chez nous, ils savent donner la transparence et l’éclat des vitraux du moyen-âge ? Quel génie leur a donc enseigné ces secrets qu’après tant de siècles de recherches nous n’avons pu découvrir ? Ce n’est pas à nous de faire la leçon aux paysans d’Afrique et d’Asie, c’est à nous, au contraire, d’apprendre en étudiant leur travail ; on l’a si bien senti à l’exposition de Londres, qu’on s’est hâté d’envoyer les ouvriers de nos manufactures, les teinturiers surtout, à cette école du goût et de la naïveté. Où donc est l’art ? où le progrès ? où la civilisation ? Que de doutes écrasans renferme un tel phénomène ? Ah ! l’Orient, l’Orient tout entier est une énigme ! Quiconque a seulement passé au milieu de ces populations silencieuses et dignes, élégantes et majestueuses, a bien compris qu’il y avait là quelque chose d’inexplicable. La lumière vient de l’Orient, c’est de là que sont venues aussi toutes les grandes invasions, et tous les conquérans occidentaux se sont brisés contre les frontières orientales ! Avez-vous jamais réfléchi à ce duel éternel et si monstrueusement inégal cependant des Russes contre les Circassiens ? N’avez-vous jamais été frappé de cette résistance inconcevable, toujours vivante, des pauvres Indiens contre cet autre colosse qu’on nomme l’Angleterre ? Où donc réside la force secrète de ces peuples en apparence si débiles ? Opposez leurs ressources aux nôtres, leurs moyens de défense à nos engins de guerre : leurs armes sont plus naïves encore que leurs machines. Voyez ces arcs si légers, ces flèches si minces, ces poignards damasquinés que l’Inde expose à Londres. Auprès de nos mortiers et de nos pièces de siège, ce sont des jouets véritables ; la poignée de ces petits sabres est si courte, qu’ils semblent faits pour être maniés par les doigts des enfans. C’est la lutte de la panthère contre l’éléphant les jours de bataille ; sur le terrain pacifique de l’industrie, la même différence se retrouve, et l’on reconnaît à l’instant dans leurs œuvres le Sihk agile et le lourd Saxon.