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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/234

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luxe et le goût des arts, ils mourraient de faim, car les produits à bon marché, ils ne peuvent pas les faire, et les objets coûteux que nous débitons avec tant d’avantage n’auraient plus de cours ? Ils veulent tuer la poule aux oeufs d’or. Aimables démagogues qui comptiez raser les palais de « nos tyrans » par amour de l’égalité, niveler les fortunes, abolir le luxe, semer des pommes de terre dans les Tuileries et faire de la France un phalanstère ; ministres intelligens qui avez conseillé au peuple de choisir pour mandataires des ignorans et des simples, allez donc, allez voir l’exposition de Lyon et de Sèvres ; vous nous direz pour qui l’on fera ces chefs-d’œuvre, quand il n’y aura plus personne pour les payer ? Vous nous direz encore s’il faut une population en sabots pour créer de telles merveilles, vous nous direz enfin si le peuple qui les produit peut être gouverné par des ivrognes et des crétins ! Oui, c’est un consolant spectacle que celui de notre exposition. N’est-il pas étrange de voir un pays comme le nôtre, labouré depuis trois ans par les émeutes, brisé par la folie, venir gaiement, à la veille peut-être d’une nouvelle révolution, jeter le gant à cette grande Angleterre, et lui disputer non-seulement la palme des arts, mais le prix même de l’industrie ? Quelle admirable nation, et comment ne pas l’aimer malgré ses caprices et ses emportemens ? Ah ! la France, c’est bien l’enfant prodigue, et le jour où elle reviendra à la sagesse, l’univers entier devra tuer le veau gras pour se réjouir.

Mais quand y reviendra-t-elle ? O vous qui avez aujourd’hui une heure de loisir, ne comptez pas sur l’avenir, partez pour Londres, courez à ce spectacle qu’on n’avait jamais vu, que peut-être on ne reverra plus ! Assister, au milieu de nos misères, à un triomphe de notre pays, n’est-ce donc rien ? Faire le tour du monde en moins d’une semaine, quel attrait plus puissant faut-il à votre curiosité ? Songez que vous aurez à peine à quitter votre fauteuil, et qu’en partant de Londres, comme moi, à huit heures du matin, vous arriverez assez tôt pour dîner à Paris, et pour finir votre journée auprès de ceux que vous aimez.


ALEXIS DE VALON.