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population maritime de Granville est périodiquement affligée des plus cuisantes misères. — C’est alors que l’énergie et le dévouement des femmes se manifestent dans leur touchante grandeur : elles ne reculent devant aucun labeur, si rude qu’il soit ; c’est du fruit de leurs sueurs que vivent les familles ; elles mettent un tendre et fol orgueil à épargner de serviles travaux à des mains accoutumées à manier la voile, l’aviron, la drague et les filets. La culture des mielles occuperait les journées passées à terre, et notamment les quatre mois pendant lesquels est interdite la pêche des huîtres ; les familles pourraient toujours alors compter autant de bras occupés que de bouches à nourrir, et la prévoyance serait stimulée par l’attrait d’une nature de propriété accessible aux plus modestes économies.

Jusqu’à présent, les cotres rapides qui se chargent à Granville de tant de denrées appartiennent exclusivement aux îles de Jersey et de Guernesey : ils vont et viennent sous les yeux des marins du port sans exciter ni envie ni émulation, et, ce qui ajoute à la singularité de cette inertie, c’est que la plupart sont frétés par des femmes de Granville, qui forment elles-mêmes leurs pacotilles dans les campagnes environnantes, les accompagnent à la mer et vont les débiter sur les marchés de Saint-Hélier et de Saint-Aubin. Il est clair que, si les hommes avaient à Granville autant de savoir-faire et de volonté que les femmes, cette navigation si importante par le nombre de marins qu’elle familiarise avec les dangers de ces parages nous reviendrait bientôt.


II

Du roc de Granville au cap Carteret, la mer a jeté au pied des collines élevées dont elle a jadis usé la base une double lisière de terres fertiles et de mielles incultes. Un estran, dont la largeur excède souvent une lieue, borde cet espace, et presque partout on y trouve abondance de tangue ; mais l’incurie des hommes a laissé ces dépôts devenir aussi nuisibles à la navigation qu’ils peuvent être profitables à la culture : tous les abris qu’offrait jadis la côte sont envasés, et le bord des mielles, de toutes parts éraillé par le ruissellement des eaux qui suintent du pied des collines, manque de la consistance nécessaire pour donner sécurité aux entreprises de défrichement.

Les Hollandais ont fondé sur un principe d’une admirable simplicité et la défense de leur territoire contre une mer qui le domine à chaque marée et l’établissement de ports excellens sur la côte la plus plate qui soit au monde. Ils ont dès long-temps remarqué que moins une côte offre à la mer montante d’ouvertures où celle-ci puisse pénétrer, moins elle est vulnérable, et que plus l’affluence des eaux intérieures est considérable à leur débouché sur un atterrage, mieux la profondeur