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pas à la fascination que la gloire de l’empereur faisait éprouver à d’autres. Homme de paix et de théorie, il ne crut pas qu’on dût sacrifier la liberté des individus à l’indépendance de la nation et le bonheur à la gloire. Il accepta donc pleinement la séparation établie par les alliés, dans la déclaration de Francfort, entre la France et l’homme qui venait de présider à ses destinées. Les conséquences que devait entraîner un nouveau triomphe de Bonaparte lui semblaient beaucoup plus à craindre que l’humiliation passagère d’une conquête. « On craint d’être pillé, ruiné, brûlé par les Cosaques, écrit-il en février 1814 ; cette crainte absorbe tout autre sentiment, et on ne se souvient pas de la cause première de tant de maux, on ne prévoit pas ceux que la même cause doit entraîner encore, si on la laisse subsister. On fait des vœux pour le succès du tyran, on s’unit à lui pour repousser l’ennemi étranger ; on oublie que l’ennemi le plus dangereux est celui qui restera pour nous dévorer, pendant que les autres passeront. »

La violence dont usa Bonaparte, la saisie du rapport de M. Laîné, la clôture de la salle des séances, l’ajournement indéfini de la législature et la hautaine arrogance avec laquelle l’empereur déclara que « c’était lui seul qui représentait la France, » que « la nation avait plus besoin de lui qu’il n’avait besoin de la nation, » tous ces souvenirs encore récens expliquent l’amertume des paroles qu’on vient de lire, paroles qui sont loin d’être les plus acerbes de celles qu’on trouve à cette époque dans le Journal intime. Il faut convenir toutefois que d’autres souvenirs peu lointains encore contrastent avec les termes énergiques dans lesquels le membre de la commission des cinq flétrit le règne du tyran. Le sous-préfet de Bergerac avait été l’un des agens de ce pouvoir devenu l’objet de ses haines. Lorsque Napoléon demandait au corps législatif pourquoi, après avoir gardé le silence pendant ses succès, on soulevait une résistance intempestive au moment où deux cent mille soldats étrangers franchissaient la frontière, le reproche n’était certes pas dénué de fondement. S’il eût demandé à Maine de Biran pourquoi, après avoir été si long-temps, et par sa libre volonté, un des instrumens de sa puissance, il se trouvait à l’heure de l’infortune au nombre de ses adversaires, la question eût été de nature à donner quelques embarras au collègue de M. Laîné : — le membre de la commission des cinq était resté peut-être trop long-temps au service du gouvernement impérial.

Ce fait même, du reste, explique en partie l’extrême vivacité de ses impressions. Obligé, dans sa sous-préfecture, de faire exécuter des mesures qui répugnaient sinon à sa conscience, du moins à toutes les tendances de son esprit et de son cœur, il dut plus d’une fois, dans l’accomplissement des offices de sa charge, faire violence à ses sentimens. De là une antipathie pour le régime impérial d’autant plus profonde,