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De semblables craintes attristèrent Maine de Biran jusqu’à la fin de ses jours. Mort en 1824, il ne vit pas s’accomplir les événemens qu’il avait prévus. On peut apprécier ces événemens de différentes manières ; on ne saurait méconnaître que ce qu’il a craint et annoncé est précisément ce qui s’est passé sous nos yeux.


III

Tandis que, dans la vie publique, M. de Biran se sentait assailli de mille inquiétudes, dans la vie intérieure il s’élevait à une vue de plus en plus sereine et complète des choses de l’ame. Y a-t-il un point d’appui pour l’homme, et où est-il ? À cette question depuis long-temps posée, M. de Biran, éclairé par une première expérience, avait répondu : « Ce point d’appui ne peut se trouver au dehors, les objets passagers du monde qui nous entoure ne sauraient nous donner le repos ; » et il inclinait au stoïcisme, à la doctrine qui fait chercher dans la seule force de l’ame, dans le déploiement de la volonté, le point d’appui nécessaire. Au sein des commotions qui amenèrent à deux reprises la chute de l’empire, l’expression des besoins intérieurs de M. Maine de Biran revêtit une nouvelle forme. L’instabilité des choses humaines était écrite dans ces événemens avec des caractères trop visibles pour que son esprit mûri par les années n’en reçût pas une instruction. Pendant les cent jours, ses espérances furent détruites, son avenir se trouva compromis, son présent était incertain. Froissé dans toutes ses convictions, inquiet pour sa famille, il était contraint à chercher, pour y reposer son ame, une pensée fixe, une pensée éternelle. « Pour me garantir du désespoir, écrit-il à cette époque, je penserai à Dieu, je me réfugierai dans son sein. »

Ce recours à Dieu signale un moment décisif dans l’état intérieur de M. de Biran. Dieu, jusqu’ici, n’avait joué aucun rôle dans les théories philosophiques de l’auteur ; c’est pourquoi, les joies sensibles lui faisant défaut, c’est à la volonté personnelle seule qu’il s’adressait. Ses recherches, relatives uniquement aux élémens constitutifs de la nature humaine, s’étaient maintenues dans une sphère où les questions religieuses n’apparaissaient pas. L’idée de Dieu ne se manifeste donc pas en premier lieu dans son intelligence pour devenir ensuite l’objet des sentimens de son cœur. Ce fut au contraire le besoin de Dieu qui, faisant irruption dans son ame, appela l’idée de Dieu dans son esprit. Avant d’aborder les conséquences de ce fait capital, il faut fixer notre attention sur les expériences intimes qui furent le résultat de cette vie de Paris dont nous n’avons considéré jusqu’ici que la partie extérieure.

Placé définitivement, après la seconde restauration, au sein du mouvement social de la capitale, le questeur de la chambre fut bientôt entraîné par le tourbillon. Bien que son travail de cabinet ne fût jamais