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et de la ville sous l’accusation de lèse-majesté, Placidie se réfugia d’abord à Rome avec son fils Valentinien et sa fille Honoria, plus âgée que lui d’une année. Toutefois les rangs de ses partisans s’éclaircissaient chaque jour ; ses amis finirent par disparaître ; elle resta seule, sans protection et sans argent. Elle eût voulu fuir à Constantinople et s’y placer sous la sauvegarde de l’empereur d’Orient, son neveu ; mais elle manquait de tout pour un si long voyage. Un homme eut alors le courage de l’assister et de prendre ouvertement sa défense, courage qui fut trouvé grand en face des ressentimens d’Honorius et de la lâcheté de tous les autres : c’était un personnage considérable de l’empire, le comte Bonifacius qui avait jadis blessé Ataülf au siège de Marseille, et qui gouvernait actuellement la province d’Afrique. Mettant de côté toute basse considération, le comte envoya à Placidie de l’argent et des moyens de transport pour se rendre à Constantinople, elle et sa suite. Le voyage ne fut pas sans danger ; une tempête, survenue pendant la traversée, faillit emporter au fond de la mer le seul rameau fécond du tronc de Théodose. Placidie, au plus fort du danger, fit vœu de construire une église à saint Jean l’évangéliste, si, par l’intercession de cet apôtre, elle et ses enfans revoyaient la terre : ils la revirent, et l’église, construite à Ravenne, est encore debout. Pour perpétuer le souvenir de sa reconnaissance, Placidie voulut qu’on y représentât sur un grand tableau en mosaïque incrusté dans la paroi intérieure son naufrage, sa délivrance miraculeuse et toutes les circonstances particulières de son voeu. On peut déchiffrer encore cette curieuse page d’histoire, quoique le temps l’ait un peu dégradée. Sur une mer agitée, et sous l’effort d’une violente tempête, on aperçoit deux navires près de sombrer ; les passagers agenouillés tendent les bras au ciel. Une grande figure, qui semble commander aux vents, de sa main étendue redresse les mâts penchés et remet un des navires à flot. Dans le lointain apparaît une autre figure, empreinte d’une douceur et d’une majesté toute divine, dont les doigts déroulent un feuillet du livre mystérieux qui calme les orages de l’ame humaine comme les mouvemens de l’océan ; cette seconde figure est Jésus-Christ. Une inscription placée au-dessus du tableau contient ces mots : « Voeu de Placidie et de ses enfans pour leur délivrance de la mer. » A droite et à gauche, sur la frise, sont rangés les portraits de tous les empereurs chrétiens depuis Constantin et des princesses des maisons impériales de Valentinien et de Théodose : Honorius n’y est point oublié.

La terre ne fut pas plus clémente que la mer à la famille exilée. En débarquant à Constantinople, elle se vit dépouillée des titres et insignes qu’elle portait en Occident, et qui indiquaient son droit au trône impérial ; puis Théodose la relégua dans un coin de la ville, où elle végétait obscurément, quand un événement imprévu vint la rendre à la