de sa famille. Son arrivée fit événement en Italie, où l’on admirait son courage encore sans tache, et où les derniers événemens l’avaient rendu l’objet d’une vive curiosité. Placidie le reçut à peine comme un sujet ; elle lui conféra le titre de comte des domestiques, c’est-à-dire de chef des gardes de l’empereur, quoiqu’il dit achever en Afrique le temps de son commandement ; elle le chargea en outre d’une mission importante en Espagne près des rois vandales de la Bétique, car, après le départ des Visigoths et leur retour en Gaule, les Vandales s’étaient ralliés et avaient reconquis leurs anciens cantonnemens au midi de la Péninsule espagnole. La place de patrice, la plus éminente des dignités romaines, étant vacante, et la régente n’en disposant pas, on put croire qu’elle la lui réservait. Cette popularité et surtout ces faveurs de cour excitèrent la jalousie de Félix, qui crut voir dans Bonifacius un rival et peut-être bientôt un successeur.
Au nom du comte Bonifacius est attaché un sceau fatal qui ne s’effacera jamais et qui est la juste punition d’un grand crime, car nul citoyen ne fut plus funeste à son pays. Pourtant ses compatriotes l’ont exalté, aimé, respecté même après son crime, et l’histoire contemporaine montre envers lui une indulgence qui surprend d’abord, arrête l’historien moderne, et le trouble dans le jugement qu’il est appelé à porter sur cet homme. Pour nous, ne séparant point Bonifacius de son siècle, nous nous contenterons d’exposer avec impartialité sa vie, mélange de bien et de mal, d’élévation et de misères ; on pourra le juger ensuite, et ses contemporains avec lui.
Bonifacius était vieux Romain et originaire de Thrace. Soldat dès son enfance, il avait été frère d’armes d’Aëtius, aussi brave que lui, aussi estimé pour son mérite, plus estimé pour son caractère. Des qualités, les unes séduisantes, les autres solides, sa franchise, ses élans généreux, son courage à suivre malgré la disgrace les causes qu’il embrassait, lui valurent la bonne fortune unique d’être loué également des païens et des chrétiens. On le comparait aux hommes d’autrefois, et peut-être, sans la susceptibilité ombrageuse de son humeur, sans les irritations de son orgueil, un tel rapprochement eût-il pu se justifier ; mais cette nature avait plus d’éclat que de vraie grandeur, plus de laisser-aller que de force. Toutefois, au milieu de l’abaissement universel des caractères, elle dominait et attirait. Une chose surtout distinguait Bonifacius des gens de guerre de son temps, presque tous athées ou indifférens : c’était une ferveur de dévotion portée jusqu’à l’ascétisme. Son ame passionnée, qui ne connaissait point de mesure, semblait flotter perpétuellement entre la soif de la gloire et le dégoût du monde, entre le champ de bataille et le cloître. À la mort de sa femme qu’il chérissait, il voulut se faire moine, et pour l’en empêcher il ne fallut pas moins que l’autorité de l’évêque d’Hippone Augustin