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et de son ami Alype, qui vinrent le trouver à Tubunes et lui remontrer qu’il servirait beaucoup plus utilement l’église sous la casaque du général que sous le froc du religieux. Les païens, pour qui un pareil caractère était tout nouveau, et qui ne pouvaient guère le comprendre, dirent de Bonifacius que c’était un homme héroïque[1]. Nous qui avons vu ce type se développer au moyen-âge sous l’influence des idées chrétiennes, nous dirons avec plus de connaissance de cause : C’était déjà le soldat chrétien, un précurseur lointain de la chevalerie. — Et comme pour compléter dans ce Romain du Ve siècle l’esquisse du chevalier du XIe, l’histoire nous le montre prenant en toute circonstance la protection des petits et des faibles, la défense des enfans et des femmes ; enfin il n’est pas jusqu’à la galanterie chevaleresque qu’on ne retrouve en lui avec des faiblesses qui le perdirent.

Les Vandales de la Bétique, près desquels Bonifacius se rendait en qualité d’ambassadeur de Placidie, étaient ariens et ariens très intolérans, plus encore par système politique que par fanatisme religieux. Dans l’intention d’élever une barrière entre leurs possessions d’Espagne et l’empire, ils imposaient l’arianisme aux provinciaux leurs sujets. Tout Espagnol soucieux de conserver sa fortune, son rang et la paix de sa famille était contraint de se faire arien, et, sous l’aiguillon des provocations et des menaces, on voyait les apostasies se multiplier. La mission du comte d’Afrique avait-elle pour but de faire cesser les persécutions ? concernait-elle une guerre alors pendante entre les Romains et les Suèves de la Galice ? On l’ignore ; mais l’une et l’autre affaire appelait au même degré la sollicitude de Placidie.

À cette cour des rois vandales, Bonifacius rencontra une jeune Espagnole nommée Pélagie, maîtresse d’une de ces fortunes immenses que l’aristocratie ibérienne concentrait encore dans ses mains ; il se prit d’affection pour elle et la rechercha en mariage. Pélagie n’était pas moins bonne arienne que Bonifacius bon catholique. Leurs déclarations de mutuelle tendresse furent, à ce qu’il paraît, entrecoupées de disputes théologiques, de dissertations savantes sur la consubstantialité du Verbe, et, l’amour aidant, ils crurent s’être convertis l’un l’autre. Le comte d’Afrique, dans l’expansion de sa joie, écrivait à ses amis de Carthage et d’Hippone : « Je vous amène une femme catholique ; » mais hélas ! au bout de neuf mois, la fille qui provenait de ce mariage était baptisée par les soins d’un évêque arien, et de plus de jeunes religieuses parentes de Bonifacius, à ce qu’on peut croire, et qui demeuraient dans sa maison, reçurent, par suite des manœuvres de Pélagie,

  1. ) Bonifacius vir erat heroicus, dit Olympiodore, auteur païen, contemporain de ces événemens. Olympiodore avait occupé de grandes places dans l’administration, et connu personnellement la plupart des hommes dont il parle. Les fragmens qui nous rester de ses écrits sont une des sources les plus importantes de l’histoire du Ve siècle.