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davantage aux églises du Christ, si tu le faisais véritablement en vue de les protéger, et si tu ne demandais autre chose au monde pour toi et les tiens que ce que réclame le soutien de la vie, te fortifiant aussi par la continence et te cuirassant d’armes spirituelles au milieu des armes terrestres.

« Tu te rendis à nos discours et tu pris cette résolution : nous nous en réjouissions encore, lorsque tu partis. Tu traversas la mer, puis tu te remarias. Ce voyage, tu le fis sur l’ordre des hautes puissances auxquelles tu devais soumission suivant l’apôtre ; mais ton second mariage, qui te l’avait commandé, sinon la passion qui t’a vaincu ? A cette nouvelle, ma stupéfaction fut grande, je l’avoue ; pourtant je me consolai un peu en apprenant que tu n’avais pas voulu épouser cette femme qu’elle ne se fût faite catholique, et voilà que l’hérésie de ceux qui nient Jésus-Christ comme vrai fils de Dieu a tellement prévalu dans ta maison que ta fille a reçu le baptême de leurs mains ! Les hommes racontent encore bien des choses qui m’arrachent des larmes ; mais peut-être qu’ils mentent…

« Depuis ce mariage, combien de calamités, et quelles calamités sont venues fondre sur toi ! Descends au fond de ta conscience, interroge-toi, tu répondras ce que je ne veux pas dire. Repens-toi donc ; ne diffère plus de faire pénitence, et je ne doute point que Dieu ne te pardonne, et que tu ne sois délivré de tes dangers. Mais, me diras-tu, « ma cause est juste ! » Je l’ignore et n’en suis pas juge, car je n’ai pas ouï les deux parties ; mais que ta cause soit juste ou non, ce que je n’ai besoin ni de rechercher, ni de discuter, me nieras-tu en face de Dieu que tu ne serais point tombé dans de telles nécessités, si tu n’avais aimé avec fureur les biens du siècle, toi qui devais les tenir pour néant, toi que nous avions connu fidèle serviteur de Dieu ?

« Et ce ne sont pas seulement tes propres convoitises qu’il te faut maintenant subir, tu es devenu l’esclave des passions des autres. Ces hommes qui t’entourent, qui défendent ta puissance et ta vie, qui te sont fidèles, je n’en doute point, et dont tu n’as à craindre aucune embûche assurément, t’aiment-ils pour toi et selon Dieu ? Ils aiment les biens du siècle, ils cherchent à les acquérir par ton moyen : de sorte que toi, qui devais réprimer tes passions, tu es contraint de satisfaire celles d’autrui. Or cela ne se fait point sans beaucoup d’actes criminels qui offensent Dieu. Et d’ailleurs de telles cupidités sont-elles jamais satisfaites ? On les extirpe en soi quand on aime Dieu ; on ne les rassasie pas quand on aime le monde. Quel moyen de contenter tant d’hommes armés, tant de passions avides qu’il faut au contraire stimuler pour les rendre plus redoutables ? Quel moyen, je ne dis plus de les assouvir, mais de les repaître un peu, sans attirer sur sa tête la vengeance divine ? Aussi regarde autour de toi : tout est dévasté, ruiné, et déjà tes soldats ne trouvent plus rien à piller…

« Tu vas me répondre qu’il faut imputer ces maux à ceux qui t’ont offensé, et qui ont payé par l’ingratitude tes grands services et ton courage. Je l’ai déjà dit : c’est là une cause que je ne veux pas entendre et que je ne peux pas juger ; mais réfléchis : tu reconnaîtras que tu en as une autre à débattre, non pas vis-à-vis d’un homme quelconque, mais vis-à-vis de Dieu, car tu es chrétien, et par conséquent tu dois craindre d’offenser Dieu. Si je remonte aux causes supérieures des événemens qui nous affligent, je sens bien qu’il faut imputer