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instantanément sous elles des abîmes. Dans cette confusion, les plus puissans navires cessent de gouverner, et combien d’autres, dont la disparition ne s’est jamais expliquée, se sont décousus et engloutis la nuit au milieu de ce tourbillon ! L’impulsion quand la mer monte, et le tirage quand elle descend, viennent ici du sud, en sorte que les phénomènes redoutables du raz se reproduisent à des degrés d’intensité différens tout le long de la côte : c’est ce qui a fait donner au passage qui commence au raz et finit à la hauteur de Granville, entre le plateau des Minquiers et les îles de Chausey, le nom sinistre de la Déroute.

Les îles de Chausey[1] étaient jusqu’à ces derniers temps négligement mentionnées dans les livres d’hydrographie. Elles ont été, en 1831 et 1832, l’objet d’un admirable travail dirigé par M. Beautemps-Beaupré[2]. Elles forment, à trois lieues à l’ouest-nord-ouest de Granville, un archipel ovale de 5 milles de long sur 2 de large ; leur aspect à mer basse est celui d’une plage sablonneuse, au-dessus de laquelle d’innombrables roches granitiques élèvent leurs têtes noirâtres ; les marées submergent la plus grande partie de ces roches, et en réduisent une autre à ne plus montrer que des pointes aiguës. Les plus grands îlots et la masse principale des petits sont groupés au sud-ouest. Les courans sont fort rapides au travers de ce dédale, qui n’offre que deux mouillages, tous deux ouverts au sud : le plus oriental, celui de Beauchamp, recevrait les plus grands navires, mais il est médiocrement abrité ; l’autre, celui du Sound, plus petit et beaucoup meilleur, est adjacent à la grande île, et consiste en une étroite gaîne où, faute d’évitage, les bâtimens mouillent sur quatre amarres. Le mouillage des îles était naguère, dans les nuits d’hiver, le recours des bâtimens obligés d’attendre la marée pour entrer à Granville : à moins de très gros temps, on préfère aujourd’hui courir des bordées en se réglant sur les feux de Granville, de Carteret, du cap Fréhel et du Sound de Chausey même. Le dernier de ces phares a été construit en vertu d’une détermination que M. Dufaure, ministre en 1839, prit, à la grande surprise de ses bureaux, peu accoutumés à la promptitude, en moins de vingt-quatre heures. On avait su que le cabinet de Saint-James, toujours en quête d’îles à britanniser, cherchait si le roi Harold ne lui aurait pas laissé quelque titre à faire valoir sur celles-ci, et notre droit ne pouvait pas avoir d’expression plus simple et plus digne qu’un service rendu à la navigation. Les mouillages du Sound et de Beauchamp seraient, en cas de guerre maritime, un poste avancé très précieux pour la protection des atterrages de Granville et de Saint-Malo, et il est

  1. M. de Quatrefages a déjà fait connaître ces îles aux lecteurs de la Revue. Voyez la livraison du 1er mai 1842.
  2. Cartes nos 823, 824, 829 et 830 des publications du dépôt de la marine.