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que l’on s’ennuie, comme s’ennuient toujours en vieillissant ceux qui n’ont que des passions, et qui ne savent plus que faire dès qu’elles baissent. À bien regarder, peut-être trouverait-on un sens analogue sous les bouddhismes, les stoïcismes et les ascétismes qui se sont fait gloire de mépriser les choses de ce monde, et qui, de temps immémorial, ont été fort communs dans le Midi, à côté des cynismes et des ardeurs sensuelles.

Quoi qu’il en soit, le trait le plus saillant des poètes contemporains de l’Angleterre, c’est qu’ils sont sortis de ce dilemme. Leur note dominante n’est plus l’illusion qui croit tout changer, ou la déception qui s’indigne de ce que tout demeure ; ils ont plutôt la sérénité méditative du penseur, qui, au lieu de maudire ou après avoir maudit, emploie ses facultés à étudier ce qui demeure pour y surprendre et y admirer les causes qui ont pu le produire. Dans la pierre où la foule voit seulement un je ne sais quoi qui n’est pas de l’or et qu’elle méprise en conséquence, d’autres savent voir l’opération des agens qui la font ce qu’elle est, qui peuvent ce qu’ils peuvent en dépit de l’homme, et qui, en dépit de lui, continueront à exercer leurs propriétés. Pour ceux-là, le caillou du chemin, suivant un mot de Shakspeare, est comme une homélie qui les remplit d’un religieux étonnement. C’est justement cette disposition d’esprit qui frappe au premier abord chez les successeurs de Byron. Ceux qui ne l’ont pas se piqueraient de l’avoir, comme naguère on affectait d’être blasé. Quant aux vrais talens, ils possèdent en réalité les facultés qui la donnent et les qualités qui l’accompagnent ; ils allient à la spontanéité du poète une puissance de réflexion qui jusqu’ici avait paru l’exclure. Au lieu de n’avoir que de la verve, ils ont l’ampleur d’horizon visuel qui permet d’embrasser l’ensemble des choses ; au lieu de n’avoir que des passions vives, ils ont des convictions et des affections profondes. Leur poésie enfin n’est pas saccadée comme celle de Byron ; elle ressemble moins à une succession d’enivremens et de sensations détachées : elle a du lest ; on y sent, ce qui est le signe de l’âge mûr, un fonds d’idées vraiment générales, de celles qui se forment à la longue, et qui sont comme des récapitulations. « - 0 visages humains ! s’écrie le pictor ignotus de M. Browning, ma coupe s’est-elle fêlée ? n’a-t-elle pas conservé tout ce que vous y avez versé ?

Naturellement les pensées d’août ont leurs écueils. Si la nouvelle école est moins juvénile, elle a rarement cette vivacité qui entraîne comme une mélodie dont la donnée est simple et dont toutes les modulations ne reproduisent qu’une phrase unique. Parfois elle fatigue l’esprit, et en général elle ne peut être goûtée que par un public plus restreint. Cependant l’imagination y abonde, et, chose remarquable, c’est parmi les contemporains que l’on trouverait les hommes qui ont