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mes sentimens, je craignais qu’ils ne fissent ma honte ; elle murmura : Est-ce vrai que tu m’aimes ? Elle pleura : Voilà long-temps que je t’aime…

« L’amour prit le sablier du temps et il le secoua dans sa main brûlante ; les heures se précipitèrent plus légères et coulèrent en sables d’or. L’amour prit la harpe de la vie, et il en fit sonner toutes les cordes ; il frappa sur les cordes de l’être, et l’être, oublieux de lui-même, s’épancha hors de lui en notes palpitantes. Bien des fois le matin dans la campagne, nous écoutâmes tinter les futaies, et le murmure de ses lèvres gonflait mes veines de la plénitude du printemps. Bien des fois le soir, nous suivîmes des yeux les majestueux navires, et nos ames s’élançaient pour s’unir au toucher de nos lèvres. O ma cousine au cœur sans foi, ô Amyl qui étais la mienne et qui ne l’es plus ! O morne, morne campagne ! ô triste, triste plage ! -Fausse au-delà de toute fausseté que l’imagination a jamais conçue, que la poésie a jamais chantée ; jouet des menaces d’un père, servile à plier devant un mot sévère ! — Dois-je souhaiter que tu sois heureuse, qu’après m’avoir connu, tu te dégrades dans une atmosphère d’affections plus étroites et de sentimens plus bas que les miens. Pourtant cela sera. Tu t’abaisseras de jour en jour à son niveau. Ce qui est raffiné en toi s’abrutira pour sympathiser avec la matière. Tel mari, tel femme. Tu t’es alliée à la vulgarité ; elle sera comme un poids pour te courber vers la terre. Sitôt que sa passion aura épuisé sa première fougue, il te tiendra pour quelque chose d’un peu mieux que son chien, d’un peu plus cher que son cheval… Qu’est-ce là ? ses yeux sont appesantis, ne pense pas qu’ils sont moites de vin ; approche-toi de lui, embrasse-le, prends sa main dans la tienne. — Il se peut que monseigneur soit las, qu’il se soit trop fatigué l’esprit. — Trouve pour le délasser tes plus fraîches fantaisies, fais jouer autour de lui tes plus légères pensées. Il répondra net et juste à la question, il répondra des choses faciles à comprendre… Mieux vaudrait que tu fusses morte devant moi, t’eussé-je tuée de ma main ; mieux vaudrait que toi et moi nous fussions sous terre, à l’abri des hontes du cœur, roulés dans les bras l’un de l’autre et silencieux dans un dernier embrassement…

« Comment trouver la paix ? En scindant les souvenirs de l’aine. Eh ! puis-je la séparer d’elle-même pour l’aimer encore telle que je l’ai connue avec sa tendresse ? Je me rappelle une Amy qui est morte : tout était suave dans sa voix, dans ses mouvemens. Je me la rappelle ; celle-là, la voir, c’était l’aimer ! Puis-je me la représenter comme morte et l’aimer pour l’amour qu’elle m’a donné ? Non, elle ne m’a jamais aimé ! l’amour est à jamais amour. — Trouver la paix, la paix maudite de l’enfer ! Le poète a dit vrai : La douleur des douleurs est de se rappeler des momens plus heureux. Bâillonne bien ta mémoire, de peur de l’apprendre toi-même un jour, de peur que l’épreuve ne t’arrive dans le silence des nuits désolées, quand la pluie ruisselle sur le toit. Comme un chien, il chasse en songe, et toi, l’œil ahuri, tu regardes la muraille où l’ombre va et vient, où vacille la veilleuse mourante. Alors devant toi une main passera pour te montrer du doigt son sommeil d’ivrogne, et ta couche nuptiale condamnée au veuvage, et les pleurs qu’il te reste à pleurer. Alors tu entendras les ombres des années mortes murmurer leur jamais ! jamais ! et un chant sorti du lointain bruire dans le tintement de tes oreilles, et deux yeux attacheront sur ta peine un regard