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l’être unique et parfait, le cœur à deux battemens dont la palpitation fait la vie.

« Elle reprit en soupirant : « Le même rêve que j’ai fait autrefois ! Quelle femme a pu vous apprendre toutes ces choses ? »

Le dernier volume de M. Tennyson (In Memoriam) se détache encore plus que la Princesse de ses productions antérieures. Publié sans nom d’auteur, il se compose d’une suite d’élégies, ou du moins de courts fragmens, tous écrits dans le même mètre et tous consacrés à la mémoire d’un ami mort en 1833. Cet ami du poète, cet homme qui lui semblait à demi divin, était un fils de l’historien Hallam. Bien certainement c’était un beau caractère. On le sait sans l’avoir connu, et on est fier qu’il ait existé une nature assez noble pour inspirer de tels regrets, comme on se plaît à l’idée qu’il s’est rencontré une nature assez noble pour les ressentir.

Plus d’une fois déjà le chagrin avait servi d’inspiration. On connaît les recueils de Pétrarque et de Victoria Colonna. À côté de celui de M. Tennyson, ils font quelque peu l’effet d’une série d’amplifications sur un thème unique. Je ne prétends pas positivement que les deux poètes italiens se soient donné froidement un sujet à paraphraser ; mais, par rapport à nous, ils avaient si peu la faculté de distinguer leurs sensations les unes des autres, en d’autres termes les variations successives que la douleur pouvait parcourir en eux sous l’influence des circonstances passagères étaient tellement imperceptibles pour leur oreille, qu’ils semblent n’avoir guère entendu qu’un son monotone et continu. Chez M. Tennyson, au contraire, chaque morceau porte l’empreinte d’une émotion qui s’est bien définie pour lui, et qui a eu son heure spéciale. Dans son ensemble, In Memoriam est comme l’histoire des phases nombreuses qui se sont succédé dans une même affliction. Pour enfanter une pareille œuvre, il a fallu ce qui ne se rencontrera peut-être pas une seconde fois : une puissance tout exceptionnelle d’affection à côté d’un esprit éminemment habitué à s’étudier ; il a fallu surtout un être d’élite hautement doué dans tous les sens, hautement capable de garder une impression reçue sans cesser pourtant de rester impressionnable et ouvert à tout.

Au premier abord, plusieurs de ces confidences ne sont pas sans obscurité, et la subtilité de certains passages pourrait même faire croire à des concetti. Ce serait à tort, je pense, que l’on s’arrêterait à cette interprétation. Pour quiconque sait les combinaisons étranges que le vent, les bruits et les nuages peuvent former avec une pensée dont on est obsédé, l’œuvre entière est d’une vérité qui ne permet guère le doute. Quand il y a faute, c’est plutôt l’expression qui est coupable. Dans les morceaux où l’imagination a évidemment repris le dessus, le grand artiste se retrouve avec toutes ses qualités de style.