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Parfois seulement il s’est moins surveillé. Ses taches, du reste, sont peu importantes. Ce qui reste dans le souvenir, après avoir lu In Memoriam, c’est une émotion recueillie et une admiration pleine de charme. — Les vers du poète n’ont rien de déchirant, rien qui crie ou sente le spasme. Le chagrin est profond ; il dit : « Je souffre ; » il répond à toutes les fausses consolations : « Je souffre ; pour moi, tout va mal. » Jamais il ne dit : Hors de moi tout est mal. La secousse éprouvée ne sert qu’à faire ressortir la force de l’esprit qui n’a pas perdu l’équilibre.

Je sais, je crois avec celui dont la harpe accompagne sur tant de cordes sa voix vibrante, que sur le marchepied de leur propre mort les hommes peuvent s’élever à des hauteurs plus hautes. — Mais comment se transporter assez dans l’avenir pour apercevoir un gain dans sa perte ? — comment étendre le bras par-delà les années pour recueillir le fruit lointain des larmes ? — Que l’amour et la douleur s’enlacent pour ne pas être engloutis tous deux, que les ténèbres gardent leur sombre lustre ! Ah ! il est plus doux de se griser de sa perte, de danser et tourbillonner avec la mort. — Plutôt cela que de permettre aux heures victorieuses de railler le résultat d’un long amour et de dire : Voyez l’homme qui a aimé et qui a perdu ce qu’il aimait ; — mais de tout ce qu’il était, rien ne reste. »

Toujours il semble que le poète ait ainsi deux ames : à côté de celle qui a la fièvre il y en a une autre qui l’écoute, qui sait tout ce qu’elle savait la veille, qui ne laisse passer aucune exagération qu’elle aurait à renier le lendemain. — On sent une robuste santé morale, même sous les impressions fébriles, comme dans la pièce suivante, entre autres ; elle exprime un sentiment bien vieux, pourtant, elle est bien neuve. En nous racontant comment la douleur voit toute la nature s’assombrir de son deuil, les poètes jusqu’ici n’avaient retracé que la folie passagère d’un moment, le trouble du malade qui éprouve cette hallucination et qui en est dupe. Rien de pareil ici.

« O désolation ! cruelle compagne, prêtresse des caveaux de la mort, que murmure ta voix mêlée d’amertume et de douceur ? Que disent tes lèvres mensongères ? — Les astres, murmure-t-elle, roulent aveuglément ; un voile se trame à travers le ciel ; des lieux désolés sort un cri de douleur ; une plainte s’exhale du soleil qui se meurt, et la nature, le vain fantôme s’arrête ; sa voix avec toute sa musique n’est qu’un creux écho de la mienne ; elle-même est une forme creuse aux mains vides. — Écouterai-je donc cette chose aveugle qui me parle, la ferai-je habiter avec moi comme mon bien, ou l’étoufferai-je, comme un vice du sang, sur le seuil de l’esprit ? »

Le morceau suivant est adressé au vaisseau qui rapportait en Angleterre les restes d’Arthur.

« Si quelqu’un venait m’apporter la nouvelle que tu as touché terre aujourd’hui ; si, en m’avançant sur le quai, je t’apercevais à l’ancre, au port ; si debout, tout enveloppé dans mon chagrin, je voyais tes passagers l’un après