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à moins d’aller plus loin qu’ils ne pensaient. Là, pour sûr, est l’utilité du débat ; il permettra de compter combien il y en a dans le parti de l’ordre qui ne reculeront pas devant la solidarité que leur imposerait leur alliance d’un moment avec des ennemis de tous les jours. Murmurer, disserter contre la révision dans les couloirs et entre les portes, ce n’est rien qui tire beaucoup à conséquence, c’est même d’assez bon ton comme tenue parlementaire ; haranguer à la tribune et voter au scrutin contre la révision, ce n’est plus si commode, c’est s’associer en fait au seul parti qui ait contre la révision une objection fondamentale, — son goût décidé pour la constitution telle qu’elle est. Reste à savoir si c’est là le goût de la France ; il sera curieux de voir des conservateurs en agir comme s’ils le lui supposaient, et nous n’attendons pas sans une certaine impatience le coup d’essai de ceux qui s’y risqueront. La charité nous commande de douter qu’ils persévèrent, et c’est pour cela qu’il faut au contraire persévérer à vouloir la révision jusqu’à ce qu’il n’y ait plus au service du pacte républicain de 1848 que ceux qui ont à le garder un intérêt de conquérans.

Le rapport de M. de Tocqueville est un aperçu judicieux de cette situation où nous sommes ; il a le mérite de la caractériser ; il démontre parfaitement, selon nous, l’impossibilité d’être conservateur sans être révisionniste. Nous l’entendons du moins de la sorte, car nous devons confesser qu’il a soulevé plus d’un commentaire, et que beaucoup d’esprits, il est vrai fort prévenus, l’ont pris pour une leçon sur la nécessité d’être républicain. Nous croyons qu’on peut, en y réfléchissant, s’expliquer cette apparente anomalie. Il y a deux points à remarquer dans le problème de la révision : d’une part, la certitude du besoin qu’on a de le résoudre ; d’autre part, l’incertitude de l’avenir dont on est menacé, si on ne le résout pas. De ces deux points, M. de Tocqueville saisit et développe le premier avec toute la netteté de son intelligence. Il est décidément révisionniste, parce qu’il est conservateur ; mais, sur le second, M. de Tocqueville n’en sait pas plus que le vulgaire, et ses yeux ne percent pas mieux que les nôtres les ténèbres qui se préparent pour 1852, si l’on ne s’applique, à les dissiper d’avance. Il nous dit et nous prouve qu’il faut faire la révision ; il ne nous dit pas ce qui arrivera dans le cas où la révision ne se ferait point. Ce n’est pas sa faute : quelle humaine sagesse en dirait davantage ? Seulement, comme il lui est impossible de discerner cet avenir qui nous attend, si prochain qu’il soit, il est bien forcé de se rabattre sur le présent, et n’ayant rien à mettre en place de ce qui est, du moment où la révision échoue, il s’en tient bon gré, mal gré, à ce que nous avons maintenant, sans pouvoir même s’abuser sur le peu que cela vaut. Le républicanisme de M. de Tocqueville n’est pas autrement profond et sympathique : il sent à merveille que la constitution républicaine de 1848 est pleine de dangers, il demande très sérieusement qu’on les en écarte ; mais, si par malheur on ne l’écoute pas, il est au bout de ses expédiens, il n’a plus d’avis ; il en revient, de guerre lasse, à l’état de choses dont il a si exactement décrit les vices, et, plutôt que de subir la chance des périls inconnus, il se remet avec résignation sous le coup des périls qu’il connaît si bien. On ne peut pas se figurer que ce soit là une solution, encore moins une solution républicaine. M. de Tocqueville n’a pas eu la pensée d’en inventer une, encore moins de lui donner ce caractère. Il a établi que l’opinion générale était