Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

onéreuse de nombreux ateliers et des indemnités à recevoir. Dès qu’il fut fait, les argumens les plus usés devinrent péremptoires ; la commission du Luxembourg s’en empara, les rajeunit par sa découverte du travail honnête, et le gouvernement provisoire, ne se souvenant pas même du code pénal[1], arrêta partout le travail qu’on accusait de ne l’être pas. Ainsi l’organisation des ateliers nationaux et la désorganisation des ateliers des prisons ont été les seules mesures pratiques qu’ait prises la révolution sur le travail et les travailleurs. À la vérité, le décret du 24 mars 1848 a été abrogé par la loi du 9 janvier 1849 ; mais cette loi, qui ordonne et empêche tout à la fois[2], n’a pas été exécutée et ne saurait l’être sous le régime actuel. M. Louis Blanc, dont l’installation économique au palais du Luxembourg a coûté 68,000 fr.[3], doit bien rire quand il voit cette société contre laquelle il a fait le serment d’Annibal payer déjà quelque sept millions le passe-temps d’une de ses matinées, et peut-être rira-t-il long-temps encore avant que des ministres tiraillés entre sept cent cinquante souverains aient des heures à donner à quelque chose d’aussi peu dramatique que le régime des prisons.

J’ai trouvé les condamnés du Mont-Saint-Michel en possession des loisirs que leur avait faits le gouvernement provisoire. Un ordre parfait régnait dans la prison ; on y sentait une direction intelligente, un commandement respecté. J’ai pourtant rarement eu sous les yeux un spectacle aussi triste que celui de ces bancs où s’alignaient silencieux, sans être recueillis, tant de visages empreints de dégradation. Si l’oisiveté est partout la mère des vices, que peut-elle faire autre chose dans un pareil lieu que de préparer au bagne et à l’échafaud leur proie ! Sans doute parmi ces criminels il en était d’encore susceptibles de retour au bien : le décret leur en a fermé le chemin. Naguère le condamné libéré rentrait dans le monde avec un pécule et des habitudes de travail : il porte aujourd’hui jusqu’au dernier instant de sa peine la marque de son crime conservée fraîche par l’oisiveté ; il est

  1. « Tout individu condamné à la peine de la réclusion sera renfermé dans une maison de force et employé à des travaux dont le produit pourra être en partie employé à son profit, ainsi qu’il sera réglé par le gouvernement. » (Code pénal, 21.)
  2. « Art. 2. — Les produits fabriqués par les détenus des maisons centrales de force et de correction ne pourront pas être livrés sur le marché en concurrence avec ceux du travail libre.
    « Art. 3. — Les produits du travail des détenus seront consommés par l’état autant que possible, et conformément à un règlement d’administration publique.
    « Art. 4. — Dans le cas où le travail des détenus serait fait à l’entreprise, les objets laissés pour compte à l’entrepreneur par l’état ne pourront être livrés sur le marché qu’après une autorisation spéciale du tribunal de commerce dans la circonscription duquel est établie la maison centrale de force ou de correction… » Et ainsi de suite.
  3. Décrets du gouvernement provisoire des 3 et 19 avril 1848.