Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fronde ; vous vous y êtes jeté de vous-même par la passion du mouvement et de l’intrigue. Vous le reconnaissez : elle avait une aversion naturelle pour les affaires ; elle vous y a suivi contre son goût et ses intérêts manifestes.

Au reste, La Rochefoucauld raconte lui-même, dans la nouvelle partie de ses Mémoires[1], comment et dans quelles vues il se lia avec Mme de Longueville. Il cherchait à se venger de la reine et de Mazarin ; pour cela, il avait besoin du prince de Condé ; il s’efforça d’arriver au frère par la soeur. Laissons-le parler lui-même : « Tant d’inutilité et tant de dégoûts me donnèrent enfin d’autres pensées et me firent chercher des voies périlleuses pour témoigner mon ressentiment à la reine et au cardinal Mazarin. La beauté de Mme de Longueville, son esprit et tous les charmes de sa personne attachèrent à elle tout ce qui pouvoit espérer d’en être souffert. Beaucoup d’hommes et de femmes de qualité essayèrent de lui plaire, et par-dessus les agrémens de cette cour, Mme de Longueville étoit alors si unie avec toute sa maison, et si tendrement aimée du duc d’Enguien, son frère, qu’on pouvoit se répondre de l’estime et de l’amitié de ce prince quand on étoit approuvé de Mme sa soeur. Beaucoup de gens tentèrent inutilement cette voie et mêlèrent d’autres sentimens à ceux de l’ambition. Miossens, qui depuis a été maréchal de France, s’y opiniâtra le plus long-temps, et il eut un pareil succès. J’étais de ses amis particuliers, et il me disoit ses desseins. Ils se détruisirent bientôt d’eux-mêmes : il le connut et me dit plusieurs fois qu’il étoit résolu d’y renoncer ; mais la vanité, qui étoit la plus forte de ses passions, l’empêchoit souvent de me dire vrai, et il feignoit des espérances qu’il n’avoit pas et que je savois bien qu’il ne devoit pas avoir. Quelque temps se passa de la sorte, et enfin j’eus sujet de croire que je pourrois faire un usage plus considérable que Miossens de l’amitié et de la confiance de Mme de. Longueville. Je l’en fis convenir lui-même. Il savoit l’état où j’étois à la cour ; je lui dis mes vues, mais que sa considération me retiendroit toujours, et que je n’essaierois point à prendre des liaisons avec Mme de Longueville, s’il ne m’en laissoit la liberté. J’avoue même que je l’aigris exprès contre elle pour l’obtenir, sans lui rien dire toutefois qui ne fût vrai. Il me la donna tout entière ; mais il se repentit de me l’avoir donnée quand il vit les suites de cette liaison… »

L’ennemie déclarée de Mme de Longueville est sa belle-fille, Mme de Nemours, d’un caractère tout opposé au sien, judicieuse, mais sèche, très légitimement portée pour M. de Longueville son père, qu’elle disputait à l’influence de sa femme et poussait du côté de la cour. Dans

  1. Publiée en 1817 par M. Renouard, et qui se trouve aussi dans l’édition de M. de Petitot. Collection des Mémoires, 2e série, t. LI.