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commençait à se faire dans son cœur, le goût inné de plaire, l’envie de montrer la puissance de ses charmes, et de troubler un peu une rivale qui ménageait et voulait garder à la fois Nemours et Condé, enfin la liberté et l’abandon d’un voyage, la rendirent plus accessible qu’elle n’aurait dû l’être aux empressemens du jeune et beau cavalier. Rien ne prouve qu’elle ait été au-delà de la tentation. À peine de retour à Paris, M. de Nemours l’oublia, reprit les fers de Mme de Châtillon, qui triompha avec sa perfidie accoutumée du sacrifice qu’on lui faisait. De son côté, justement blessé, La Rochefoucauld se brouilla pour toujours avec elle. On dit[1] qu’il saisit avec joie cette occasion de se séparer d’elle, comme il le désirait depuis long-temps. Soit ; mais il fallait s’arrêter là, il ne fallait pas s’unir contre elle à Mme de Châtillon[2], la calomnier à l’envi dans l’esprit du prince de Condé, lui, imputer le lâche dessein d’avoir voulu ruiner tout le parti et trahir son frère pour servir les intérêts du duc de Nemours[3], accusation absurde et que toute sa conduite dément, et la peindre comme une créature vulgaire, capable de se porter aux mêmes extrémités pour tout autre, si cet autre le désirait ; il ne fallait pas, comme le dit si bien Mme de Motteville[4] d’amant devenir ennemi, d’ennemi ingrat, » et se laisser entraîner par la vengeance à des offenses qui allèrent, dit encore Mme de Motteville, « au-delà de ce qu’un chrétien doit à Dieu et un homme d’honneur à une dame. »

Ce court moment de légèreté et de coquetterie de Mme de Longueville pendant le voyage de Guyenne est sa seule, sa véritable tache. Tout le reste de sa conduite dans la fronde s’explique et se défend aisément au point de vue que nous avons marqué.

Il ne faut d’ailleurs prendre au sérieux la conduite de personne dans la fronde, car la fronde n’est pas une chose sérieuse : c’est une suite d’intrigues où l’unique mobile et presque avoué de tout le monde est l’intérêt, la vanité, le goût de l’importance, avec la galanterie et le plaisir. Les princes ne songeaient qu’à eux-mêmes, à agrandir leur autorité et leur fortune, et pour cela ils allaient tour à tour d’un parti à l’autre, selon les événemens et des vues particulières qui changeaient chaque jour. Le prince de Condé, la figure qui domine tout le tableau et seule mérite les regards de l’histoire avec son rival Mazarin, méprisait au fond tous les partis ; mais il voulait se faire à côté du roi une place incompatible avec la grandeur royale. Son mouvement naturel était du côté de la cour : une ambition mal entendue l’arrêtait. La fronde proprement dite et les parlementaires lui étaient odieux, et il ne les servit jamais

  1. Mémoires de Mme de Nemours, p. 150.
  2. Motteville, t. V, p. 132.
  3. La Rochefoucauld, p. 198.
  4. T. V, p. 114-115.