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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/446

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plus séduisante encore, répandent sur l’ensemble ces frais épanouissemens, cet air de candide jeunesse dont le printemps nouveau-né enveloppe quelquefois nos campagnes. Ainsi s’offre Naxos. Ronde de forme, comparée souvent par les poètes à la coupe du buveur où pétille le jus de la grappe, le vin doré y coule à pleins bords ; elle est entourée de vignes qui rampent en liberté, et mêlent aux branches et aux fruits des arbres leurs rameaux chargés de raisins. L’orange, la figue, la grenade, la poire, la pêche, l’abricot, l’olive, mûrissent dans les vallées de Melanez ; le blé, l’orge, le coton, le lin, se cultivent dans les champs de Perato. Des forêts couronnent les montagnes de Zia et de Coronis, qui conservent encore le nom des nymphes nourrices du fils de Sémélé. Solitaire avec ses ombrages au milieu de ses mornes compagnes, Naxos est un de ces asiles faits exprès pour les cœurs blessés, pour les amours trahis, qui, sans l’avouer, se nourrissent toujours d’espoir, et se plaisent à prendre à témoin de leurs maux la belle nature, les astres rayonnans, l’écho infatigable et les flots grondeurs, moins tumultueux que leurs rêves. Aussi fut-ce certainement par un reste de pitié que Thésée choisit ce nid pour y abandonner Ariane. Si l’on s’en rapporte d’ailleurs à certaine tradition, la Crétoise méritait son sort, et Thésée ne fit que prévenir son infidélité, puisque le lendemain la fille de Pasiphaë suivit Bacchus, qui la ramassa sur sa route.

Outre ces fables du paganisme, des souvenirs historiques se conservent à Naxos, et semblent la suite de ces fictions. En 1207, trois ans après la prise de Constantinople par les croisés, au moment où des chevaliers français devenaient princes d’Achaïe, ducs d’Athènes et de Modon, Venise permit à ses sujets de conquérir à leur profit les îles des Cyclades, que la république avait reçues en lot dans le morcellement de l’empire grec. Marc Sanudo, rude batailleur qui revenait de la croisade, ruiné par le jeu et les courtisanes, rassembla ses compagnons de débauche, emprunta à des Juifs deux mauvaises galères, et, par une nuit de carnaval, partit du quai des Esclavons. Il débarqua à Naxos et s’en rendit maître sans coup férir ; puis il bâtit le castel qui domine la ville et se créa de son chef duc de l’Archipel. Des cadets de la famille Grimaldi, acceptant des fiefs de Sanudo, l’aidèrent à défendre et à arrondir son domaine, sans s’oublier dans le partage. Ils élevèrent entre les murailles du château des manoirs crénelés pour la guerre ; au fond des baies et des vallées, des villas à la mode italienne pour le plaisir. Les nouveaux maîtres menèrent long-temps joyeuse vie, le lieu y conviait, et, quant au pillage, ils avaient le choix entre les campagnes sarrasines et les possessions conservées par les Byzantins. Les Grimaldi oublièrent bientôt les lagunes et le Rialto dans leur repaire de Naxos, qui devint l’entrepôt des richesses, des captifs et des filles d’Orient. Toutefois, en souvenir de leur origine et pour établir une démarcation