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entre les vassaux grecs et les seigneurs de pur sang latin, ils conservèrent l’habit vénitien, la soie et le manteau écourté, la toque de velours et le stylet. Pour leurs femmes, épouses ou concubines, Italiennes, Grecques et Arabes, chacune prit ce qui lui convint du costume des autres, et les Naxiennes inventèrent un vêtement provocateur, mélange des robes d’Europe et des voiles d’Asie. Durant plus de deux siècles, les patriciens de Naxos ne furent inquiétés par personne, et molestèrent impunément leurs voisins. À partir de l’année 1453, lorsque Mahomet II eut enfin anéanti ce misérable empire d’Orient, qui n’était plus composé que de Constantinople, espèce de club bavard, ergoteur, lâche et cruel, les descendans de Sanudo comprirent que la partie n’était plus égale ; ils cessèrent leurs brigandages et se tinrent hors de la portée du lion. Cette sage conduite ne les sauva pas. À côté de l’altière noblesse conquérante vivait à Naxos une autre aristocratie, non moins fière de ses parchemins, et qui prétendait descendre des Paléologues. C’était l’aristocratie grecque. Les Latins avaient laissé les Grecs libres, se contentant de les expulser de la forteresse de l’île ; mais le schisme qui divise les églises des deux nations, schisme que les Latins attribuaient à la vanité grecque, et dont les Grecs accusaient l’ambition de Rome, devint l’obstacle insurmontable contre lequel se brisa toute tentative de fusion des races. Les Grecs, froissés par le dédain des vainqueurs pour leurs habitudes et leurs prétentions à la science théologique et littéraire, attendirent en silence et sous les dehors d’une humble soumission l’heure de secouer le joug. La chute de leur patrie satisfit en ce point leurs rancunes. Préférant dès-lors le muphti au pape, aimant mieux obéir à des ennemis déclarés qu’à des frères dissidens, ils députèrent leur évêque au sultan. Les Turcs, reçus dans l’île, y établirent un pacha, qui permit aux habitans de se gouverner à leur fantaisie. Chaque peuple garda la position acquise : les Grimaldi continuèrent à dire la messe en latin, narguant les papas et les caloyers ; les Paléologues chantèrent plus haut que jamais l’office en grec, s’intitulant à leur aise les premiers-nés de l’église et les pédagogues du monde. Les deux races rivales vécurent ainsi l’une près de l’autre, contenues par la pipe du pacha, que celui-ci étendait pacifiquement entre elles dans les circonstances difficiles. Les troubles de Morée ne changèrent rien à la situation. Le pacha retourna à Constantinople. Grecs et Latins firent le commerce et la course, attendant que les succès ou les revers de la cause hellénique rendissent à Naxos, soit le croissant, soit un gouvernement national.

Ainsi qu’à Rhodes, lorsqu’on pénètre dans la ville de Naxos ou dans l’intérieur des terres, l’on est étonné de rencontrer des constructions dont l’architecture vous rejette en plein moyen-âge ; mais à Naxos l’élégance italienne a déjà corrigé le dessin, arrondi les formes, et les