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de long. Dans les gros temps, les lames, en déferlant, lancent au-delà de leur propre portée les corps d’un certain volume qu’elles tiennent en suspension, et la barrière qu’elles se sont déjà donnée dans leurs premiers dépôts s’exhausse par la lente accumulation de ces projectiles c’est ainsi que le bourrelet qui s’enracine à Châteauricheux, s’est élevé de plus d’un mètre au-dessus des plus hautes mers. Les eaux troubles ont trouvé en arrière un calme à peu près complet ; elles s’y sont dépouillées des parties les plus grossières de leur fardeau, et, se clarifiant à mesure qu’elles s’éloignaient, elles n’ont porté au loin que la vase la, plus ténue. Les dépôts sont donc allés s’amincissant à partir du premier banc, et les alluvions se sont disposées suivant des plans inclinés vers l’inférieur des terres.

Voilà l’histoire abrégée de la formation du terrain des marais de Dol. La zone la plus élevée est celle qui règne le long de la mer, la plus basse celle qui suit le pied des terrains granitiques et schisteux. En 1024, le duc Alain III, au règne duquel remontent la plupart des fortifications où s’abrita pendant quatre cents ans l’indépendance de la Bretagne, fit établir sur la crête des dépôts amoncelés par la mer les digues qui devaient soustraire les marais à son empire ; différens émissaires défendus par des portes de flot ouvertes dans les digues furent creusés soit de son temps, soit après lui, et les générations qui se sont succédé dans la possession de ce territoire ont accepté, sans y apporter aucune modification importante, le système de dessèchement qui leur avait été légué par le XIe siècle.

En avant des digues se montrent à basse mer des grèves qui occupent tout le fond de la baie ; elles s’étendent de la pointe de la Chaîne près Cancale jusqu’à celle de Carolles au nord-nord-ouest du Mont Saint-Michel. Elles ont 3,400 mètres de largeur devant Châteauricheux, 4,500 devant le village du Vivier, 13,000 devant l’embouchure du Couesnon, 20,000 devant celles de la Sélune et de la Sée, et 1,500 devant la pointe de Carolles : la courbe décrite d’une pointe à l’autre par la laisse de basse mer a 21 kilomètres de corde, 28 de développement, et l’étendue laissée à découvert n’a pas moins de 20,000 hectares.

S’il fallait en croire une tradition qui a conservé des échos dans des chroniques presque aussi difficiles à concilier entre elles qu’avec la constitution géologique de la côte, les grèves du Mont-Saint-Michel auraient jadis été ombragées par les chênes de la forêt de Scissy. Des pâturages, des terres cultivées se seraient étendus sur la plus grande partie non-seulement de la baie, mais encore des atterrages de Cancale et de Saint-Malo ; l’île de Césambre, l’archipel de Chausey, auraient été des attenances de la côte ; tout ce territoire aurait été englouti par la mer soit en 695, soit en 709, et tant d’écueils dont les têtes chauves se montrent au-dessus des flots seraient les noyaux d’anciennes